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XXXI

Prêteurs et Emprunteurs.

La balance de l’escompte mène droit à celle du crédit ou du prêt.

S’il est une question sur laquelle l’Église, communiste par son dogme, patricienne par sa hiérarchie, tirée en sens contraires par le double esprit de sa constitution, a varié, divagué et prévariqué, c’est sans contredit celle-là.

C’est un fait que toute l’antiquité, païenne et juive, s’est accordée à réprouver le prêt à intérêt, bien que ce prêt ne fût qu’une forme de la rente universellement admise ; bien que le commerce tirât de grands avantages du prêt, et ne pût aucunement s’en passer ; bien qu’il fût impossible, injuste même, d’exiger du capitaliste qu’il fît l’avance de ses fonds sans émoluments.

Tout cela a été démontré par les casuistes de notre siècle aussi bien que par les économistes ; et l’on sait que je ne fais aucune difficulté de reconnaître la légitimité de l’intérêt, dans les conditions d’économie inorganique et individualiste où a vécu l’ancienne société.

Puisque l’Église, à l’exemple de la philosophie, revenant au sens commun, a cru devoir dans ces derniers temps se rétracter sur la question de l’intérêt ; puisqu’elle a abjuré son ancienne doctrine, elle avait donc tort, elle était inique et insensée, quand elle proscrivait ce même intérêt à une époque où il réunissait tous les caractères de la nécessité, et partant du droit ? Comment l’Église justifie-t-elle cette variation ? Elle qui ne cessait jadis de crier haro sur les Juifs à propos de leurs usures, et qui fut cause de tant de spoliations et de massacres, comment s’est-elle rangée à la fin du côté des publicains, des cahorsins, des lombards, des juifs ? comment s’est-elle prosternée devant Mammon ?