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pauvre, j’ai passé ma vie avec les pauvres, et selon toute apparence, je mourrai pauvre. Que voulez-vous ? Je ne demanderais pas mieux que de m’enrichir ; je crois que la richesse est bonne de sa nature et qu’elle sied à tout le monde, même au philosophe. Mais je suis difficile sur les moyens, et ceux dont j’aimerais à me servir ne sont pas à ma portée. Puis ce n’est rien pour moi de faire fortune, tant qu’il existe des pauvres. Sous ce rapport je dis comme César : Rien de fait tant qu’il reste à faire, Nil actum reputans si quid superesset agendum. Quiconque est pauvre est de ma famille. Mon père était garçon tonnelier, ma mère cuisinière ; ils se marièrent le plus tard qu’ils purent, ce qui ne les empêcha pas de mettre au monde cinq enfants, dont je suis l’aîné, et auxquels ils laissèrent, après avoir bien travaillé, leur pauvreté. Ainsi ferai-je : voilà bientôt quarante ans que je travaille, et, pauvre oiseau battu par l’orage, je n’ai pas encore trouvé la branche verte qui doit abriter ma couvée. De toute cette misère je n’eusse dit jamais rien, si l’on ne m’eût fait une espèce de crime d’avoir rompu mon ban d’indigence, et de m’être permis de raisonner sur les principes de la richesse et les lois de sa distribution. Ah ! si du moins le problème était résolu pour tout le monde, et qu’il n’y eût plus au monde que moi seul de pauvre ! Je rentrerais dans mon néant, et ne déshonorerais pas davantage, par mes protestations insolentes, mon pays et mon siècle.

II

Sur cette question de la pauvreté, l’Église a de tout autres maximes :

Heureux les pauvres !

Heureux ceux qui ont faim !

Heureux ceux qui pleurent !…

Ces paroles sont tirées du sermon sur la montagne, en