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cela depuis le temps des prophètes ; devenu aussi charnel que les disciples de Saint-Simon, il se moque à bon droit des railleries des libertins.

Mais voici qui devient sérieux.

Dans le christianisme, la condition des personnes n’est pas la même : l’inégalité, comme nous verrons, est providentielle. Il est nécessaire qu’une partie, la plus nombreuse, de l’humanité, serve l’autre. Pour que ce service soit obtenu il faut sacrifier la dignité humaine : comment le peuple y consentira-t-il s’il n’y est amené par la religion, par la foi ? Subordination, hiérarchie, obéissance, service, exploitation de l’homme par l’homme, tout cela suppose déchéance, pénitence, sinon apparente, au moins dans l’esprit, ce qui est bien autrement grave et qui seul est essentiel ; abnégation du moi et de ses prérogatives.

Dans ce système d’une féodalité raffinée, on se gardera d’enseigner comme article de foi que les privilégiés ont plus de mérite devant Dieu que les sacrifiés, que les riches hommes sont d’origine plus sainte que les bons hommes, comme la plèbe dévote se nommait au douzième siècle. La religion ne commet pas de ces imprudences. On rejettera sur la Providence le décret qui privilégie ceux-ci en déshéritant ceux-là ; on rappellera aux premiers l’humilité devant Dieu, le sacrifice en esprit, la charité envers leurs frères, le rachat de leur prérogative temporelle par la foi et par le culte ; on apprendra aux seconds la résignation, en leur promettant d’ailleurs des dédommagements à leur misère dans la vie éternelle.

Ainsi, dit l’Église, le roi et le berger sont égaux devant le Tout-Puissant ; mais le roi a été établi d’en haut pour commander à ses frères.

Ainsi le pape se nomme serviteur, quoique indigne, des serviteurs de Dieu.