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Le droit antique, personnel dans son principe, a défailli lorsque, impuissant à déterminer la loi sociale, et trouvant la religion des dieux insuffisante pour le maintien de l’équilibre, le législateur s’est mis à créer la religion de l’État.

Qu’est-ce que l’homme devant les dieux ? avait demandé le prêtre.

Qu’est-ce que l’homme devant la cité ? demanda à son tour l’homme d’État.

Et le communisme, l’impérialisme, l’utopie envahirent la terre ; on fit bon marché de la personne humaine, de sa liberté, de sa dignité ; à force de nier l’individu, on finit par nier le droit, et au lieu de citoyens il n’y eut plus que des sujets et des fidèles.

XII

L’homme veut être respecté pour lui-même, et se faire respecter lui-même. Seul il est son protecteur, son garant, son vengeur. Dès que, sous prétexte de religion des dieux ou de raison d’État, vous créez un principe de droit supérieur à l’humanité et à la personne, tôt ou tard le respect de ce principe fera perdre de vue le respect de l’homme. Alors nous n’aurons plus ni Justice ni morale ; nous aurons une autorité et une police à l’ombre de laquelle la société, comme le voyageur à l’ombre de l’upas, s’affaissera.

Étant donnée la Justice identique à la dignité individuelle, la civilisation grecque et latine devait périr par l’exagération d’une force sans contre-poids (ax. 5). Le frein du pouvoir n’y fit pas plus que la béquille religieuse : ce n’est pas du dehors que doit venir la balance de la liberté, c’est du dedans. Quand la personnalité eut perdu le champ de bataille du forum et de l’agora, elle se livra, sous le couvert de l’empereur, à la dévastation des provinces, à l’accaparement des terres, à l’usure, à l’orgie