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« C’est la crainte qui a fait les dieux dans le monde. » Seulement Lucrèce se trompait en rapportant cette crainte à une impression physique : elle était l’effet du sentiment de Justice qui, dans toute âme neuve, n’est pas sans un mélange de terreur. Virgile est bien plus dans la vérité que Lucrèce quand il dit :

Si genus humanum et mortalia temnitis arma,
At sperate deos memores fandi atque nefandi ;

« Si vous méprisez le genre humain et les armes mortelles, croyez qu’il est des dieux qui se souviennent du crime et de la vertu ! » La crainte et le respect, en grec et en hébreu, de même qu’en latin, s’expriment par le même mot ; rapporté à Dieu, ce mot est synonyme de religion. Tout le monde connaît cette parole du psalmiste : La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse : initium sapientiæ timor Domini.

VI

Le mot relligio étant le seul qui ait pu prêter à l’équivoque, il est inutile de chercher dans les autres idiomes des témoignages. Partout l’analogue de religio signifie marque de respect, adoration, piété, dévotion, culte ; ou bien chose sacrée, cérémonie sacrée : ce qui revient au même. Le grec dit προσκύνησις, prosternement, qui répond à relligio ; εὐσεβεία piété, l’équivalent de pietas ; ἱερα, ἱερεὒς, sacrifices, prêtre, en latin sacra, sacerdos. L’hébreu parle absolument de même : hischthahhaoth, ou hischthahhaouïah, marque ta prostration religieuse. « Tu ne leur rendrais pas de religion, » dit le Décalogue, parlant des dieux étrangers : lo thischthahhaouch. La Vulgate traduit : No adorabis ea, ce qui, au point de vue de la corrélation étymologique, manque d’exactitude. L’adoratio est le baiser jeté du bout des doigts à l’idole ; il eût fallu, si le verbe avait été usité dans ce sens : Non