Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Chez tous les peuples, le Droit se pose, au début, comme dignité personnelle, placée sous l’égide de la religion, et la Justice est le respect de ce Droit. C’est ainsi que les voyageurs l’ont retrouvée chez les sauvages de l’Océanie. Le tabou est la consécration publique des personnes et des objets que l’on veut préserver de toute atteinte en les affranchissant du risque de guerre et du commun usage. Dans une superstition d’anthropophages se découvre l’origine de la Justice et des lois.

Qu’est-ce maintenant que cette religion ? Qu’on me permette encore une étymologie : c’est dans les mots que se trouve la raison des mœurs, le secret des croyances et la clef de l’histoire.

V

Le mot religion, sur lequel on a débité et l’on débite encore tant de fadaises, ne signifie pas lien ou liaison, comme l’ont cru à première vue les étymologistes, qui se sont empressés de faire la religion synonyme de sociabilité. Religio, religare, relier, cette homonymie fait fureur. Depuis le 2 décembre, date apparemment de notre renaissance religieuse, je l’ai rencontrée plus de trente fois. Elle est devenue, pour beaucoup de gens sans religion, un argument décisif en faveur d’une religion ou réligation nouvelle. Mais, je le répète, ni le mot religion ne signifie lier, ni la chose qu’il exprime n’est l’union ou la communion des âmes, bien que la religion ne se conçoive guère sans une foi commune et un signe de ralliement. Les anciens étaient fort peu socialistes. La religion, quoiqu’elle recommandât la Justice, parfois même la charité, n’était nullement en eux une inspiration de la philanthropie ; et c’est avec peu d’intelligence que les nouveaux mystiques, pour faire passer leurs théories sociétaires, ressassent une idée qui n’exista jamais que dans leur cerveau, et qui prouve tout juste que la religion est