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se maudissent et se signalent à la haine et à la vengeance des peuples. Sous couleur d’impiété, les ministres des cultes font brûler les philosophes, qui, de leur côté, conspirant dans l’ombre, ourdissent les révolutions où l’on massacre les prêtres par milliers. Mais les uns ni les autres ne savent, pour parler comme l’Évangile, de quel esprit ils procèdent : marchant et s’égarant dans une égale obscurité, une même lumière doit à la fin les envelopper tous, éclairer leurs pas et dissiper leurs rêves.

2o Comme la religion est la contemplation du Tout indistinct et infini, la conception de l’absolu par la foi ;

De même la philosophie est l’investigation de la cause universelle, la recherche de la toute-science par la déduction des idées.

Jusqu’ici donc la philosophie n’est qu’une pansophie impuissante : nous allons voir comment le progrès des découvertes et le changement de la méthode, amenant la création de sciences spéciales et positives, conduit à l’extinction de la philosophie.


§ IV. — Transformation du syllogisme. — Démembrement et fin de la
philosophie.


131. Les prêtres disaient : L’univers est le reflet du grand Être, dont l’essence et les attributs se découvrent à nous dans ses ouvrages. Adoration, foi, amour au Créateur des mondes.

Les philosophes répondirent : Les ouvrages de Dieu sont impénétrables dans leur substance ; nous ne voyons que des puissances et des phénomènes ; pour nous élever jusqu’à Lui, il faut parcourir la chaîne des effets et des causes.

Mais, observent les savants, les causes ainsi que les substances sont insaisissables ; nous ne percevons que des rapports et des lois.

En deux mots, comme la méditation sur Dieu et ses œuvres avait conduit à la conception des forces et des causes, de même l’investigation de celles-ci aboutit sur tous les points à la découverte de l’ordre et de ses conditions.

Mais cette évolution n’a point lieu par un vaste mouvement d’ensemble ; elle ne s’opère que par une fragmentation insensible du champ philosophique et religieux. Au commencement, la philosophie abandonne une foule de choses à la religion ; de son côté, la science, nécessairement spéciale, reste longtemps étrangère aux spéculations de la philosophie : mais enfin, la carrière philosophique s’étendant toujours envahit la religion, et les spécialités scientifiques se multipliant sans fin, le domaine de la philosophie disparaît.