pour fonder la famille, il n’est ni le seul ni le plus puissant ; et il y en a un autre, à la fois plus élevé, plus vif, plus durable et plus pur. Il y a aussi le sexe moral : dans l’âme comme dans les organes, il se rencontre des qualités qui de conscience à conscience font qu’on a besoin de s’unir et de marier en quelque sorte sa pensée à une autre pensée, sa volonté à une autre volonté. Tout est arrangé avec harmonie ; tout est fait pour le concours, et il n’y a pas contradiction entre la destination physique d’un être et sa destination spirituelle. L’homme est homme à la fois par le corps et par l’esprit, et la femme pareillement. Mais dans ce concert, le premier rôle est toujours à l’esprit ; c’est ce qui sent et qui pense, ce qui veut et qui fait, c’est la tête et le cœur, c’est la personne en un mot que l’on aime, quand elle est bonne, de ce long et tendre amour qui dure autant que la vie… Et quand deux âmes sont encore unies par le caractère de la beauté, c’est-à-dire quand la première excelle par la grandeur et l’élévation de ses facultés, la seconde par la grâce et le doux mouvement des siennes, tous deux se charment de manière à s’adorer avec ivresse et une entraînante admiration. La beauté n’est nullement chose de sens, et ne paraît dans le sens que par reflet et expression…
« Les époux ont des enfants ; avant de les avoir, ils les espéraient ; quand ils les ont, ils les chérissent ; ils en sont heureux comme d’un bien qui comble le vœu de leur amour… C’est ici leur sang, c’est leur fruit, c’est leur vie même reproduite sous les formes les plus gracieuses et les plus touchantes, qui sert d’expression et de symbole à leur union ; et l’expression est d’autant plus fidèle, qu’elle procède de l’acte même où l’union est la plus complète[1]… »
Arrêtons-nous sur l’acte où l’union est la plus complète. Ce style et ces idées sont inqualifiables : est-ce une méditation philosophique, une pastorale ou un dithyrambe ? Que résulte-t-il de là ? quel est ce sexe de l’âme ? qu’est-ce que l’amour ? qu’est-ce que le mariage ? quelles sont les lois de l’un et de l’autre ?… Est-ce là, enfin, ce que les éclectiques nomment de la philosophie morale ?…
130. Terminons ce paragraphe par une double observation.
1o Pendant la première période du mouvement philosophique, l’esprit, fidèle encore à la religion, s’était borné à l’agiter en tout sens, à en développer les fictions et en poursuivre les mystères : pendant la période que nous venons de décrire, il se sépare hautement de la donnée religieuse et la traite en ennemie. Fier de sa puissance logique, il dédaigne la foi, et n’admet plus que ce que le syllogisme révèle. Alors commence la guerre entre les hommes de la résistance et de l’immobilité, et les chercheurs d’aventures et poursuivants de découvertes : prêtres d’un côté, philosophes de l’autre, également aveugles et par là même également intolérants,
- ↑ Damiron, Philosophie morale.