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tiques reconnus que ceux qui étaient écrits ; en aucun pays on n’a regardé comme crimes ou délits que les actions déclarées telles par des lois écrites ; la pratique des sociétés, sur ce point, a été constante, et c’est elle qui a donné lieu aux théories syllogistiques des auteurs. Le Décalogue, écrit sur deux tables de marbre, n’est pas autre chose qu’une déclaration de principes.

Par la disposition naturelle de l’esprit humain de ne reconnaître comme vrai que ce qu’il a lui-même déclaré vrai, le peuple, comme les enfants, est toujours porté à concevoir la loi comme un commandement émané d’un maître : il se plaindrait qu’on voulût le juger sur des lois qu’on ne lui aurait pas fait connaître, qu’on lui appliquât des principes trouvés pendant l’instance, ou après la perpétration du délit. De là, nécessité de légiférer tant bien que mal ; nécessité d’écrire.

119. La loi étant l’expression d’une volonté souveraine, principiante et causatrice, la politique, le gouvernement des États a été un art, quelque chose d’arbitraire, non une science : cela est encore de foi pour les philosophes, aussi bien que pour les poëtes. « Les lois des nations, dit Rousseau, ne peuvent avoir l’inflexibilité de celles de la nature[1]. »


Tu regere imperio populos, Romane, memento ;
Hæ tibi erunt artes…


écrivait Virgile[2].

Les principes de cet art sont curieux.

Toute autorité vient de Dieu, dit l’Apôtre. C’est bien : mais où commence le droit de remontrances ? où finit-il ? Et si l’autorité n’a point égard aux réclamations, à qui appeler ? où est le recours ?

Si veut le roi, si veut la loi, disent les monarchistes ; car, ajoutent-ils, le roi est le mieux éclairé sur les besoins de l’État ; le roi n’a point d’autre intérêt que celui du peuple ; le roi ne peut vouloir le mal de la nation ; le roi ne peut mal faire de propos délibéré… N’est-ce pas parfaitement déduit ? Mais, Dieu ! si l’on venait aux preuves !

Toute justice émane du roi, est-il écrit dans la Charte, d’après une ancienne coutume féodale, prise à contre-sens. Autre consécration du bon plaisir.

  1. Émile, liv. ii.
  2. Œneid, lib. vi.