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il n’en fallut pas davantage pour faire supposer dans les astres une puissance occulte qui gouvernait toutes les destinées. Puisqu’on calculait le retour d’une éclipse, les positions de la lune et le retard des étoiles, ne pouvait-on aussi calculer et prédire les gelées, les famines, les pestes, les guerres et les révolutions ?…

On dit : Ces prédictions étaient absurdes, de semblables effets étant sans rapport avec les causes. — Mais qu’on m’explique une fois ce que l’on entend par ces mots, rapport de l’effet à la cause ? Pour moi, je vois des termes enchaînés les uns aux autres dans des séries variées à l’infini ; mais je ne connais point de causes, bien que cette idée soit naturelle et nécessaire à mon esprit, bien même qu’elle y soit le produit de la perception externe (voir ch. iii ; § 7) ; et je ne saurais dire ce qu’une cause peut ou ne peut pas produire. Où donc est l’absurdité des astrologues, si on leur accorde que le soleil, la lune et les étoiles sont des causes ?

87. Faire d’un être brut ou vivant une portion de la divinité, ou bien attribuer à cet être une faculté causative, cela, au fond, revient absolument au même ; sur ce point la religion et la philosophie ne différent pas : je vais en donner de nouvelles preuves.

D’après l’ancienne mythologie, le chêne était, disait-on, l’arbre de Jupiter ; l’olivier appartenait à Minerve, le peuplier à Hercule, le pin à Cybèle, la vigne à Bacchus, le blé à Cérès, le myrte à Vénus. La germination était sous la garde de Proserpine, les fleurs sous celle de Zéphir et de Flore ; pendant que les fruits mûrissaient sous l’influence de Vertumne et Pomone. On sait les histoires de la myrrhe, du tournesol, du laurier, du roseau, du narcisse, de l’hyacinthe, du mûrier. — De même l’aigle fut l’oiseau du dieu du tonnerre ; le moineau, la colombe, la chèvre, animaux lascifs, appartinrent à Vénus, comme le hibou à Pallas, et le serpent à Esculape : Vesta fut traînée par des lions et Bacchus par des tigres ; Mars eut un coq pour favori. Telle fut la première histoire naturelle. Ce n’était qu’un panthéisme divisé d’après des analogies et de grossières comparaisons ; c’était, pour me servir de l’expression consacrée, l’incarnation de l’être infini et invisible, en autant de parties qu’il y a dans la nature d’animaux et de plantes.

La philosophie, opérant sur cette donnée avec le concept de cause, donna lieu à des imaginations encore plus extravagantes, et dont les esprits les plus sceptiques en matière de religion[1] ne furent pas toujours exempts. Ce même Dieu, cette nature, cette cause créatrice enfin, qui animait le lion, l’aigle, le cheval, le ser-

  1. Témoin Sénèque et Pline.