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73. Par une politique de violence, la Religion peut être brusquement supprimée, mais elle se relève : 1793 et le Concordat le prouvent. Par la science, la Religion périt jusque dans son germe, et irrévocablement. Depuis quarante ans nous la voyons, convaincue d’impuissance et d’erreur, tomber d’une chute accélérée, malgré l’appui des gouvernements, malgré les efforts du clergé, malgré les complaisantes équivoques de la philosophie et la faveur de l’opinion ; et je ne saurais dire quelle triste et douloureuse impression produisit d’abord sur mon cœur le spectacle de cette agonie. Je voyais un peuple irréligieux avant d’être instruit, un gouvernement que rien d’éternel, rien d’absolu ne soutenait ; une société pour qui l’ordre était une convention, le vice et la vertu des idées arbitraires, le passé du genre humain un long mensonge : et cette situation sans exemple, cet avenir sans providence, m’effrayaient. Mais je me rassurai bientôt en démêlant dans les faits les plus vulgaires, et les causes secrètes les révolutions religieuses, et les éléments d’un ordre merveilleux, qui se laissait d’autant moins apercevoir qu’il était plus près de moi. Alors je me dis que le temps était venu d’aider au travail de la nature, et de procurer, par tous les moyens que la raison avoue, la dernière crise de la société.

Que les chrétiens me le pardonnent : si ces recherches ne sont point une illusion du ténébreux esprit, la religion est désormais un non-sens ; si je me trompe, le salut de mon âme ne payera point trop cher ce triomphe de la théologie.

74. Plusieurs obstacles retardent l’extinction définitive des religions : le peuple, surtout celui des campagnes, n’est pas prêt ; la science de l’homme et de la société n’existe pas ; la métaphysique est à faire. Il faut une raison forte et longtemps exercée pour se contenter, en attendant la lumière, d’une philosophie négative : le vulgaire ne quitte une croyance que pour une autre ; chez lui, une idée peut seule chasser une idée. C’est ce qui explique la manie, je dirai presque l’hypocrisie de religiosité si commune aujourd’hui, dans l’enseignement, la presse, mais surtout dans le gouvernement. Tandis que les philosophes annoncent une réforme religieuse, que radicaux et conservateurs parlent d’intérêts spirituels, que les proviseurs recommandent à leurs élèves, qui rient, la fréquentation des sacrements, et donnent des prix de religion ; le