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des choses. D’après la mythologie antique, toute puissance qui change ou se modifie est une divinité qui meurt, un génie que l’on tue, qui est vaincu. La philosophie moderne parle de même : Toute révolution politique, dit M. Cousin, est une idée qui se réalise, c’est-à-dire une idée qui abroge une idée antérieure, qui la tue. Or, comme dans la société les idées sont les intérêts, et que les intérêts sont les hommes, il est difficile que des hommes qui ont régné par leurs intérêts et leurs idées consentent à s’éclipser et à disparaître. Il faut les vaincre : l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg aurait dit, dans son style d’inquisiteur, il faut les tuer. Car n’attendons pas qu’aucune raison les convainque ; que l’évidence du droit, l’imminence du danger leur fasse lâcher prise : il y va pour eux de la vie ou de la mort morale, ils ne céderont qu’à la force[1].

Au reste, jetons les yeux sur ce qui se passe : et, puisque, par l’infirmité de la nature, nous sommes plus frappés de l’éclat des faits que de l’enchaînement des idées, instruisons-nous par les faits.

540. Tous les jours il devient plus urgent de réviser la constitution civile du clergé, de courir au-devant d’une révolution, qui déjà s’accomplit. — Pensez-vous que le gouvernement, qui certes n’est pas dévot, s’en occupe ? Oh ! ce serait la consommation de l’athéisme légal ; et l’université a bien assez des calomnies des évêques. Pour que l’on ose toucher à l’encensoir, il faudra que le gouvernement tombe aux mains des communistes : mais, alors, il y aura des martyrs.

On parle de ressusciter les ministres d’État ; plus tard on reviendra à l’hérédité de la pairie : une armée de cinq cent mille hommes est entretenue sur pied de guerre ; des citadelles sont élevées ; le pouvoir central se fortifie par tous les moyens. — Croyez-vous que ce soit afin de préparer la classe prolétaire à la vie politique ? croyez-vous que l’on songe à développer le principe démocratique des gardes nationales, à changer la conscription en service universitaire, à consacrer l’unité du pouvoir représentatif par l’abolition de la haute chambre, à réduire le gouvernement personnel ?…

Depuis quinze ans les ministres ne peuvent ni convertir les rentes, ni accorder le sucre de canne avec le sucre de betterave, ni reculer la ligne douanière, ni créer des banques agricoles, ni

  1. Tout ce passage, écrit il y a six ans, est l’effrayante prophétie des événements qui, dans toute l’Europe, en ce moment, s’accomplissent. Fasse le ciel que la prophétie ne se vérifie tout entière ! (Note de l’éditeur.)