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de la théocratie et de la communauté, ce sont les fonctions pénibles et répugnantes. Rousseau, et Platon avant lui, ne concevaient l’égalité qu’avec l’esclavage pour soutien. Cette idée fut celle de l’antiquité.

On peut dire qu’aux yeux de l’Athénien paresseux et bavard, toute espèce de travail était répugnante. Dans cette reine de la civilisation grecque, Athènes, l’esclavage donnait tout à la classe libre : 400,000 esclaves entretenaient 20,000 citoyens.

À Rome, le plébéianisme fut, ou peu s’en faut, traité de même. Sans propriété, sans capitaux, toujours endettés, n’ayant d’espoir que dans le pillage, les plébéiens, par destination originelle autant que par nécessité, exerçaient les professions grossières et ignobles. Qu’étaient-ils, en effet, ces plébéiens ? Minores gentes, les petites gens, les races mineures, dit Vico.

Pendant toute la durée du moyen âge et jusqu’à la révolution, le travail, délaissé par la noblesse et le clergé, retomba sur les serfs, qui peu à peu devinrent roturiers, puis bourgeois. Mais le souvenir de la condition primitive des travailleurs a été consacré par l’Église, dans la défense de vaquer, les dimanches et fêtés, aux œuvres serviles. L’Église, dans son bienheureux sommeil, oublie présentement qu’il n’y a plus de serfs ; l’exception des œuvres libérales a tellement rongé le précepte, qu’il n’en reste plus que l’écorce.

Or le serf était traitable, corvéable et main-mortable : de même que l’esclave, et primitivement le plébéien, il était capitis minor ; il ne comptait pas pour une tête dans l’État.

523. Aujourd’hui le travail est honoré et ne fait honte à personne : cependant, il est un certain nombre de travaux répugnants, parcellaires, rétribués par la main de l’avarice, des travaux que tout le monde fuit, et qui sont comme l’apanage inaliénable de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, du prolétariat.

Le prolétaire du dix-neuvième siècle, c’est surtout, je le répète, le travailleur parcellaire, sans industrie et sans initiative ; vivant au jour le jour, n’ayant pas même le droit de s’entretenir avec ses pareils des moyens d’améliorer sa condition : heureux quand la grossièreté forcée de sa vie et son isolement politique n’étouffent pas radicalement en lui le sentiment du bien et de l’honnête.

Le prolétaire est donc mineur dans la société.

Des auteurs éminents ont raconté les douleurs de cette misérable catégorie d’humains, qui, sous les noms d’esclavage, de plébéianisme, de servage et de prolétariat, se montre chez tous les