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loppement (qui eût osé toucher à l’œuvre de Dieu ?), le système mosaïque périt faute de mouvement et de vie.

44. Quant à Jésus, son rôle de destructeur de la religion n’est pas équivoque : il raille les dévots, se moque des prêtres, prétend que la religion est faite pour l’homme, non l’homme pour la religion, donnant à entendre que, quand la religion est inutile, il convient de s’en défaire.

Mais quand on le vit prescrire de rendre à César ce qui était à César, et déclarer que son royaume n’était pas de ce monde ; maintenir une vieille formule d’initiation, instituer en guise de sacrifice un repas commémoratif, parler de sa doctrine sous les termes métaphoriques de nourriture et de breuvage, opposant ainsi figure à figure, et parabole à parabole : au lieu de comprendre qu’il s’agissait d’une réforme sociale, par opposition à un changement politique ou religieux, on s’imagina qu’il était venu apporter un dogme nouveau, des mystères plus profonds, des cérémonies nouvelles ; et de moraliste populaire qu’il était, on en eut bientôt fait un révélateur, un dieu. Les efforts du Galiléen pour dégager la société des langes de la superstition devinrent les matériaux d’une superstition nouvelle ; et le plus hardi des raisonneurs fut transformé en thaumaturge et en mythologue. Une semblable méprise est presque incroyable : elle est attestée par chaque verset de l’Évangile. Je ne crains pas de le dire : c’est la manie religieuse qui a faussé le christianisme et perdu le fruit de cette immense révolution. Mais le siècle n’était pas mûr ; les temps n’étaient pas arrivés ; l’esprit humain ne pouvait encore marcher qu’à l’aide de mythes et de symboles. Si, trois siècles auparavant, la réforme tentée par Socrate ne réussit pas, c’est que Socrate resta Socrate ; pour se faire écouter des hommes, il fallait que Jésus-Christ fût Dieu.


§ II. — La religion cause de relâchement et de stérilité.


45. Voyez l’ancienne Égypte, enlacée dans ses superstitions et ses hiéroglyphes, et consumant vingt siècles dans l’immobilité ; l’empire d’Orient, depuis Constantin jusqu’au dernier Paléologue, s’abîmant dans les disputes de théologie ; le moyen âge courbé sous la féodalité et la foi, et ne déposant sa rouille qu’en secouant l’une et l’autre ; les nations mahométanes, d’abord florissantes, et tuées à la longue par le fatalisme ; les Indous résignés à l’oppression pourvu qu’on respecte leurs pagodes, et la morale relâchée des jésuites, et les missions du Paraguay, et le gouvernement du Pape. Comparez ces troupeaux humains avec la Grèce artiste et