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développée sous ses ailes ; mais le progrès de son intelligence, le perfectionnement de ses mœurs et l’amélioration de son sort, l’homme ne le doit point à sa nourrice ; nulle part la religion n’a parlé à la raison.

Partout où apparaît la religion, ce n’est point comme principe organisateur, mais comme moyen de maîtriser les volontés. Indifférente à la forme du gouvernement, c’est-à-dire à l’ordre politique, la religion consacre ce que le législateur lui demande de consacrer ; maudit ce qu’il lui prescrit de maudire : la raison d’État fait la loi, la religion sanctionne cette loi, imprime le respect et la terreur, commande l’obéissance.

41. Dans l’Inde, la religion partage avec la noblesse et la royauté les priviléges de caste, tandis qu’en Grèce elle chante la liberté et l’égalité. Subalternisée en Égypte par un gouvernement occulte qu’elle feint de dominer ; à Rome elle ne sert plus qu’à sanctifier les décrets du forum et la politique du sénat : là oppressive et mystérieuse, parlant un langage surhumain ; ici humble servante, réduite à un vain cérémonial et à des fonctions culinaires.

42. À la Chine, où l’esprit public, malgré l’isolement de la nation, a fait de si remarquables progrès, on ne connaît, depuis une très-haute antiquité, ni culte officiel ni religion de l’État. La société subsiste là, depuis plus de 2,000 ans, inaltérable dans sa forme, sans prêtres, sans dogme, sans autel, sans sacrifice[1].

Toutefois, ce développement prématuré de la raison a nui au progrès des Chinois autant qu’aurait pu faire une religion positive : l’esprit, trop tôt débarrassé de l’enveloppe religieuse, s’est enfoncé dans une sophistique inextricable, et, perdu dans un océan de subtilités et de minuties, malgré de belles découvertes, n’a jamais pu s’élever à la vraie science.

43. Moïse peut être regardé comme l’inverse de Confucius. Au lieu de soustraire complétement l’État à l’influence religieuse, il fit de ses institutions politiques la religion elle-même. Pour lui, Dieu ou la Loi, ce devait être tout un. Le résultat fut une immobilité absolue : malgré les éléments les plus riches et les germes les plus précieux, l’idée d’une révélation divine arrêtant tout déve-

  1. Des honneurs à la mémoire de Confucius et des ancêtres, honneurs regardés par les Chinois eux-mêmes comme simplement commémoratifs, ne sont pas des cérémonies religieuses. Mais, chose singulière ! tandis que le pape traitait de religion les cérémonies chinoises, l’empereur Khang-Hi ayant ordonné d’informer sur les prédications des missionnaires, le tribunal des rites déclara de son côté que la secte chrétienne n’était pas une religion !