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l’industrie qu’il a de multiplier sa puissance, au moyen d’organes supplémentaires dont il arme sa nudité.


Le théosophe a dit : L’homme est l’animal qui se prosterne devant l’Être suprême, et prévoit une vie future ;
Le linguiste : L’homme est l’animal qui parle ;
Le psychologue : L’homme est l’animal en qui l’instinct devient raison ;
L’artiste : L’homme est l’animal doué de la faculté de redresser d’après un type idéal les exemplaires des choses ;
Le moraliste : L’homme est l’animal capable de dévouement et de sacrifice ;
L’économiste peut dire : l’homme est l’animal qui travaille.


Le castor, l’hirondelle, l’abeille, le ver à soie, la fourmi, l’araignée, tous les animaux que nous appellerions travailleurs, si, dans leurs opérations, ils n’obéissaient pas uniquement à une impulsion aveugle, irrésistible ; ces animaux, dis-je, n’emploient d’autres outils que leurs dents, leurs ongles, leur bec, leur estomac, leurs pattes ou leur queue ; pour mieux dire, ils sont eux-mêmes des organes inconscients de l’intelligence universelle. Plus l’homme se rapproche de la brute, plus il est enfoncé dans cette condition misérable que les philosophes du siècle dernier nommaient état de nature, plus aussi il est réduit à l’usage immédiat de ses propres membres, par conséquent moins il met du sien dans son action, moins il travaille. Le progrès de la société se mesure sur le développement de l’industrie et la perfection des instruments ; l’homme qui ne sait ou ne peut se servir d’un outil pour travailler est une anomalie, une créature abortive : ce n’est pas un homme.

Redisons-le : de tous les animaux l’homme est le seul qui travaille. Les vieilles religions ont vu là le signe d’une malédiction céleste : dans la société primitive, en effet, le travail dut être aussi pénible que peu productif. Mais la science nouvelle ne découvre plus dans le travail que le témoignage éclatant de notre immense supériorité.

374. Si, comme les animaux, l’homme n’employait pour travailler que ses mains, ou si, comme Dieu, il mouvait et manipulait la matière par sa seule volonté, il n’y aurait point de science économique ; la société serait nulle ; quelque chose manquerait dans l’univers. Ce seul mot, Travail, renferme donc tout un ordre de connaissances ; ce sera le triomphe de la méthode sérielle de l’avoir démontré.

375. Par l’action que l’homme exerce sur elle, la matière devient tour à tour et tout à la fois instrument et œuvre : dans l’un et