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Au § iv (231 et suiv.), nous avons distingué des séries naturelles et des séries artificielles. Les premières, avons-nous dit, sont celles dont l’objet porte sa loi en lui-même ; les secondes sont des transpositions, des jeux de l’industrie humaine, une sorte de complément de la création, inventé pour l’agrément et la commodité de notre vie. Une distinction analogue ou, pour mieux dire, la même distinction reproduite sous un aspect plus large, va nous donner la preuve que nous cherchons..

Toutes les représentations dont s’occupe l’esprit humain se divisent en deux grandes catégories : la première, que nous nommerons des séries idéelles ; la seconde, des séries réelles. Or, si je prouve que cette classification est fondée sur un caractère certain, n’aurai-je pas résolu. le problème ?

360. Ce caractère consiste en ce que, dans la série idéelle, les unités peuvent être transposées, former d’autres séries, et se convertir l’une dans l’autre sans que leur essence soit détruite ; tandis que dans la série réelle les unités sont incommutables et inconvertibles. Je m’explique.

On a dit que les plantes étaient des animaux retournés : cette comparaison exprime très-bien la différence des organisations animale et végétale ; mais elle ne suppose pas la possibilité expérimentale du fait. Ouvrez un chien vivant, et reportez aux extrémités de ses quatre membres les organes de la respiration, de l’absorption, de la sécrétion et de la génération ; vous tuerez ce chien, mais vous ne produirez pas un nouvel organisme. Essayez de faire un homme avec des organes rapportés de cent cadavres, vous ne le pouvez pas davantage. Ainsi, dans un sujet organisé, la transposition, l’interversion des parties organiques est impossible. De même dans les deux règnes les espèces sont inaltérables : on n’a jamais vu le cheval devenir éléphant, la baleine se métamorphoser en écrevisse, ni le melon pendre aux ceps de la vigne. Dans les séries animales et végétales, les unités ou espèces sont donc encore inconvertibles, mais elles ne peuvent souffrir de modifications un peu profondes sans périr. Le chêne ne saurait s’arrêter aux dimensions du rosier, ni celui-ci acquérir la majesté du cèdre ; on ne fera pas du lion un animal domestique, propre à garder les troupeaux, et se nourrissant de foin.

Je sais bien que le règne minéral (les gaz, l’eau, l’air, la lumière) soutient et alimente le règne végétal et devient pour ainsi dire, végétal ; que les plantes se transforment en matière animale dans les sacs digestifs des herbivores, des rongeurs, des granivores, des insectes, etc. ; qui, à leur tour, servent de pâture aux carnassiers et à l’homme. Mais ce ne sont pas là des séries qui se