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concerne l’origine des idées, est aussi insignifiante que le serait, pour la physique générale, de substituer l’expansion universelle à l’attraction universelle.

337. a) L’intuition s’explique d’elle-même, ou plutôt ne s’explique pas du tout. Je regarde un cheval, je flaire une odeur, je goûte un fruit, je palpe une étoffe : chacun de ces actes me donne, par un organe spécial, une sensation immédiatement suivie de conscience, c’est-à-dire d’intuition. Comment la sensation produit-elle dans le moi une illumination accompagnée d’image ? comment la conscience s’éveille-t-elle au sein de la vie, et réfléchit-elle le monde extérieur ? Voilà ce que nous ne savons pas. Nous disons seulement : Le moi communique avec les objets par les sens ; le véhicule (l’objectif et le réflecteur) est connu ; l’observateur nous échappe. De ce côté, notre science s’arrête comme devant un abîme.

Observons toutefois le caractère de l’intuition. À proprement parler, l’intuition consiste moins dans l’aperception exclusive d’un objet que dans la différenciation nettement dessinée et fidèlement circonscrite de cet objet d’avec le milieu ambiant. Dans l’intuition, l’objet se détache du non-moi par la sensation, comme par le tracé d’une ligne noire une figure se détache sur un fond blanc. En sorte qu’on peut définir l’intuition : une forme que notre âme, par la sensation, détache de l’infini, qui renferme toutes les formes possibles.

Jusqu’ici la philosophie n’a pas trouvé la moindre difficulté à l’exposition du phénomène : il lui a paru naturel, facile à comprendre, qu’un objet produisît sur l’âme, l’esprit ou l’intelligence, comme on voudra l’appeler, une sorte d’image dont cette âme avait conscience, puisqu’elle la reproduisait dans le langage. On n’a pas soulevé la question de savoir si l’intuition était une forme de l’entendement déterminée à l’occasion de la sensation, ou, comme disait Platon, une réminiscence ; on a cru simplement que, l’intuition venant après la sensation, elle était une représentation de l’objet.

338. Voici où commence l’embarras.

b) Que l’âme ait, par exemple, l’idée d’un cheval, rien de mieux, dit-on, puisque ce cheval existe dans la nature : mais comment l’âme peut-elle avoir l’idée du genre auquel appartient le cheval, et qui comprend, avec le cheval, l’âne, le zèbre, le couagga ? Le genre dont le cheval fait partie n’est pas un objet formé de quatre animaux, ce n’est pas un être particulier, ce n’est rien. Et pourtant c’est quelque chose, disait Bossuet.

Cette réflexion s’applique à tous les genres, espèces, collections, en un mot, à tous les universaux : elle a servi de motif ou de