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vant la raison, comme l’ombre suit le corps, dans toutes ses spéculations, et les frappant fatalement de son caractère. Car avec la subjectivité des concepts, la conformité de la connaissance avec la réalité extérieure, quelque effort que l’on fasse, reste à jamais indémontrable, l’idée même d’absolu est un non-sens. Identifier le moi et le non-moi, comme l’ont fait, sous des formes diverses, Fichte, Schelling, Hégel, ou résoudre la diversité actuelle en une identité anté-génésiaque et hypothétique, c’est abandonner la question : car il ne s’agit point ici de ce qu’ont pu être le monde et les idées à l’époque inobservable de l’identité absolue, c’est-à-dire avant la création ; il s’agit de la conformité des lois du monde avec celles de la pensée de l’homme, postérieurement à l’identité absolue, c’est-à-dire après la création.

336. Voici donc à quel point la discussion est arrivée.

Les idées se divisent en trois espèces :

a) Idées particulières, intuitions, représentations ou images, données immédiatement par les sens ;

b) Idées générales, ou universaux, formés par abstraction et généralisation, d’après les données des sens ;

c) Conceptions, ou idées pures, qui ne semblent formées ni par induction ni par déduction, en d’autres termes, qui ne sont point abstraites ni généralisées d’après le rapport des sensations.

Or, admettant pour un moment cette classification des idées considérées sous le rapport de leur origine, on conviendra, je pense, que la plus grande obscurité règne sur la formation des idées générales et des concepts, et sur cette prétendue faculté de l’esprit, soit de généraliser et d’abstraire, soit de concevoir spontanément des idées. Je me propose donc de montrer ici que concepts et universaux ne sont pas autre chose que des intuitions empiriques, et réciproquement que toute intuition implique universel et concept, et cela sans faire aucun usage de raisonnement, soit inductif soit déductif. Il s’ensuivra, non que des idées soient des sensations transformées (proposition inintelligible pour moi), mais la reproduction fidèle, sur un miroir vivant et sensible, qui est l’esprit, de la nature elle-même.

Mais, dira-t-on, quel que soit le mode de formation des idées, est-il possible de prouver que la valeur n’en soit pas subjective, et toute proposition émise dans ce but n’implique-t-elle pas nécessairement contradiction ?

Au lieu de répondre à cette difficulté, je demande la permission de raisonner dans l’hypothèse de l’objectivité originelle des idées : on verra bientôt que la distinction du moi et du non-moi, du noumène et du phénomène, du subjectif et de l’objectif, en ce qui