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des organes, il pourrait encore se rencontrer des inégalités d’érudition et de mémoire : car la supériorité d’un individu sur ses semblables dépend moins de la quantité de ses connaissances que de l’usage qu’il sait en faire, en style d’école, de la puissance synthétique de son intuition.

Or la théorie sérielle non-seulement nous prépare à l’invention et à la synthèse, et tend par conséquent à égaliser dans tous la faculté créatrice ; mais elle nous apprend encore à considérer un même objet sous des points de vue d’une fécondité inépuisable, en sorte que l’intelligence peut toujours gagner en profondeur ce qu’elle perd en étendue. Et si l’on objecte qu’en certains sujets toutes les facultés semblent dépasser la mesure commune, ce qui, à égalité de travail, doit entretenir entre ces sujets et les autres une inégalité perpétuelle, je répondrai que ce qui est vrai dans un temps ne l’est plus dans un autre, parce que c’est un attribut de la raison d’être limitée par ses propres lois. D’un côté, l’attention est une, non discursive ; la compréhension successive, non simultanée ; de l’autre, la loi sérielle, qui par les méthodes donne une si forte impulsion à la masse des esprits, arrête, par une spécialisation de plus en plus étroite, l’intelligence prête à s’envoler dans la sphère de l’universel et de l’absolu ; tout cela combiné fait que le plus puissant génie a toujours moins de ressources pour s’élever dans une spécialité que, bon gré mal gré, il est forcé de choisir, que les capacités inférieures, chacune dans la sphère qui lui est propre, n’en ont pour l’atteindre.

319. En résumé, l’inégalité des capacités, quand elle n’a pas pour cause les vices de constitution, les mutilations ou la misère, résulte de l’ignorance générale, de l’insuffisance des méthodes, de la nullité ou de la fausseté de l’éducation, de la divergence de l’intuition par défaut de série ; d’où naissent l’éparpillement et la confusion des idées. Or tous ces faits, producteurs d’inégalité, sont essentiellement anormaux[1] : donc l’inégalité des capacités est anormale.

Au contraire, toutes les grandes découvertes ont eu pour objet des séries, et pour moyen des procédés de sériation ; toutes les grandes intelligences ont été éminemment synthétiques : leurs travaux, marqués au coin de la loi sérielle, ont été le levier du perfectionnement social. C’est par la faculté de classification, de sé-

  1. Le fait qui exprime le mieux l’inégalité des intelligences, résultat de l’ignorance générale et de l’insuffisance des méthodes, est le scepticisme. Or, la loi sérielle est la mort du scepticisme, le remède à toutes les maladies de la raison, le critérium de la certitude (§ vii) : donc la loi sérielle est le niveau des intelligences.