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liberté de conscience identique aux deux premières ; la liberté d’examen et de suffrage identique à celles-là : en d’autres termes, au lieu de grouper les actes humains représentés par ces diverses formules en une seule et même catégorie, il s’adresse à l’âme humaine (principe inconnu) ; il interroge le moi (cause inconnue) ; il épie le premier mouvement de la volonté (faculté inconnue) ; et comme il fait la volonté antérieure à la raison (autre faculté inconnue), il appelle ce mouvement volontaire (qu’il n’a pas vu) Liberté. Alors il s’écrie que la liberté est spontanée, indépendante, qu’elle doit être respectée dans ses manifestations ; ce qui revient à cette proposition un peu niaise, que la liberté est libre. Voilà où en sont encore nos philosophes : et, sur ce point, je puis défier les démentis. Mais qu’arrive-t-il ? qu’on répond au philosophe que la liberté est nécessairement responsable, et que la responsabilité suppose une règle. Et comme cette règle est l’ouvrage de l’autorité, c’est-à-dire du gouvernement, c’est-à-dire du prêtre, c’est-à-dire du maître, la liberté, pour ceux qui ne sont ni préfets, ni électeurs, ni capitalistes, ni prêtres, se réduit rigoureusement à rien.

266. Un dernier exemple.

Au quatrième siècle de notre ère, quelques chrétiens prêteurs d’argent n’osant, par scrupule de conscience, recevoir l’intérêt de leurs sommes, s’étaient imaginés, avec plus ou moins de bonne foi, que ce qui n’était point monnaie ne donnait pas matière à usure. En conséquence, au lieu de placer leurs capitaux à tant d’as pour cent, ils les plaçaient à tant de livres de pain, tant de chlamydes, tant de vases pour cent. Saint Ambroise s’écrie à cette occasion : Et vestis usura est, et esca usura est. Voici, sous la forme de série, le raisonnement de ce Père :


Argent pour loyer d’argent[1],
Habit pour loyer d’argent,
Denrée pour loyer d’argent,
Meuble pour loyer d’argent
Toutes choses enfin pour loyer d’argent,
} Usure.


On a peine à comprendre aujourd’hui comment une vérité si simple pouvait paraître obscure aux dévots de l’Église primitive.

  1. Le lecteur ne doit pas perdre de vue que le loyer ne s’entend ni de l’indemnité due au possesseur qui se prive, ni des frais d’entretien de la chose. Le loyer est ce qui est perçu comme prix du prêt, ou produit du capital. Or on sait que le capital, sans le travail, est essentiellement improductif.