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ni le fruit. Chacun de ces points de vue peut servir tour à tour de principe de classement : mais l’expérience a démontré qu’une classification ainsi faite, toute naturelle qu’elle était, entraînait de choquantes disparates, et des rapprochements monstrueux. Il fallait à la science quelque chose de moins spécifique, quelque chose qui embrassât l’universalité des parties : ce n’est qu’après beaucoup de temps, d’observations et d’expériences, que l’on est parvenu à saisir le point de vue générateur de la série botanique, consistant dans le degré d’importance de chacune des parties, en deux mots, dans l’échelle des caractères.

Ces exemples suffisent pour faire entendre que la détermination du point de vue, toute subjective qu’elle paraisse, doit dériver toujours de la nature des choses et n’avoir rien d’arbitraire ; que l’aperception de la série est toute dans cette détermination ; et que, le point de vue découvert, la science elle-même est donnée.

250. Mais si, dans tout problème (et une science n’est autre chose qu’un problème), il importe avant tout, pour obtenir une solution, de déterminer la matière de la série, ou, comme nous disons, le point de vue ; cette détermination est souvent d’une difficulté extrême. On sait par combien d’essais infructueux la botanique est parvenue à sa constitution définitive, et de quelles folles hypothèses fut précédée la théorie si simple de Lavoisier ; on sait que, pour les Grecs et les Romains, privés d’un système régulier de numération écrite, l’arithmétique ne sortit pas du cercle d’une pratique étroite, hors duquel elle tombait dans une espèce de magie. Mais que dire des sciences morales et politiques, objet des méditations de tous les peuples, et qui ont absorbé déjà cinq ou six mille ans de travaux ?

251. Voici des fonctions à distribuer, des produits à répartir, des citoyens à gouverner, une société à conduire. Il est certain que là, comme en toute science, il s’agit d’une série à calculer, d’un problème de classification à résoudre : mais quel doit être le sujet spécial de cette série ? quel en est le point de vue organique ? comment le découvrir ? par où commencer ?… — Le sujet de la série politique, dira quelqu’un, c’est l’homme : pour gouverner la société, il faut connaître l’homme. — C’est parfaitement raisonné, mais cela ne sert absolument de rien : l’homme est le sujet de la nosologie, de la thérapeutique, de la psychologie, de la gymnastique, etc. ; d’après l’hypothèse il est encore le sujet de la science sociale : or quel est, dans l’homme, le côté spécial qu’il faut considérer pour créer la science nouvelle ? Car si l’on ajoutait que pour organiser la société il faut connaître l’homme sous tous les