Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans tous les temps ils ont employé le plus volontiers, consiste à mettre sur une même ligne la famille et la cité, puis à soutenir que, comme dans la famille les enfants sont tous égaux sous un même chef qui est le père, ainsi doivent être les citoyens dans l’État, sous une même autorité qui est la loi[1].

Si cette analogie était prouvée, le communisme serait une vérité. Mais il n’en est point ainsi, et tout le progrès accompli par la civilisation proteste contre l’assimilation de l’État à la famille. Dans la famille, les enfants sont égaux, non pour leurs services, puisqu’ils ne sont pas considérés comme travailleurs responsables et libres, mais en vertu de la tendresse et de l’autorité paternelles ; tandis que les citoyens étant producteurs, libres et personnellement responsables, la cause efficiente des conditions est changée pour eux, et la question reste intacte. La famille est l’élément qui constitue le peuple ; elle n’est point l’unité sérielle qui engendre l’État : cette unité, c’est l’atelier. Or, la qualité de travailleur pousse invinciblement l’homme à s’individualiser, et cela d’autant plus qu’il se perfectionne davantage ; l’exercice du droit de propriété, tel que l’ont défini les législateurs, n’est même que l’effort constant de la nature pour assurer cette individualisation. C’est à l’organisation du travail à créer à côté de l’égalité domestique une égalité civile résultant de la liberté individuelle.

240. La série similiforme, ou série par analogie, la plus artificielle de toutes, a été d’une grande ressource dans la poésie et l’éloquence : c’est par elle que nous avons appris à donner du relief et de la couleur aux pensées ; les figures les plus brillantes, la métaphore, l’allégorie, l’apologue, sont données par elle, et le langage humain lui doit presque tous ses progrès. L’analogie a rendu la métaphysique possible en préparant les langues et élaborant des signes abstraits, sans lesquels la pensée de l’homme ne saurait se produire.

On confond souvent l’analogie avec l’identité, ce qui a fait penser qu’il y avait des analogies vraies et des analogies fausses. L’analogie, comme il vient d’être exposé, n’est jamais que l’hypothèse d’identité sérielle entre des choses où la réflexion ne découvre qu’une ressemblance fortuite : ce que l’on prend pour une analogie vraie est précisément un fait de série dialectique, ainsi que nous le montrerons au prochain paragraphe.

  1. J’ai moi-même fait usage de cet argument dans un opuscule sur le Dimanche, à une époque où, ne connaissant pas la loi sérielle, je raisonnais comme tout le monde ; mais dans les trois mémoires que j’ai publiés postérieurement sur la propriété, et qui m’ont servi comme d’exercice pour arriver à la métaphysique, j’ai rejeté cette preuve.