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base le progrès de la connaissance, est plus subjectif, c’est-à-dire plus humain, plus en rapport avec notre manière de concevoir ; tandis que le système ternaire, prenant pour point de vue les grandes manifestations de l’être, est plus objectif, c’est-à-dire plus en rapport avec la réalité des choses.

Mais ces systèmes ne sont encore l’un et l’autre, au fond, que des points de vue particuliers qui ne s’excluent pas, des manières conventionnelles de nous représenter la création, également légitimes et jouissant d’une même certitude.

214. Le révélateur de la loi sérielle fut Fourier[1]. Génie exclusif, indiscipliné, solitaire, mais doué d’un sens moral profond, d’une sensibilité organique exquise, d’un instinct divinatoire prodigieux, Fourier s’élance d’un bond, sans analyse et par intuition pure, à la loi suprême de l’univers. Il n’a pas connu la théorie sérielle ; les classifications irrégulières et les formules bizarres dont ses livres sont pleins en portent témoignage ; il n’a rien découvert ni dans la science, ni dans l’art, ni dans la métaphysique, ni dans l’organisation industrielle : nous le montrerons par l’analyse de quelques-unes de ses séries. Mais il eut le premier l’idée universelle de la série ; il en conçut la transcendance ; il en chercha l’application, il pressentit ce qu’elle avait d’absolu ; et, bien qu’il ait paru la négliger ensuite pour sa prétendue loi d’attraction, il y ramena tous ses calculs, et construisit sur elle son système. Cela suffit à nos yeux pour lui mériter le titre que nous lui avons décerné, de révélateur de la loi sérielle.

215. Ce que l’on sait de la vie privée de Fourier honore son caractère et prouve une âme énergique : mais quelles furent ses études, comment se fit l’éducation de son intelligence, quelles routes parcourut son génie, on l’ignore. L’horreur que lui inspirait le commerce civilisé détermina sa vocation de publiciste ; la musique, pour laquelle il avait un goût prononcé, lui fournit un système d’organisation, et le conduisit d’emblée à la loi sérielle. Il comprit du même coup :

Que la politique, ou l’économie sociale, doit être l’objet d’une science rigoureuse ;

Que cette science est une spécialité de la loi sérielle ;

Que les passions de l’homme ne sont point mauvaises, et que les désordres que la religion et la philosophie leur imputent viennent surtout de ce qu’elles sont faussées ;

  1. Ne serait-ce point faire beaucoup trop d’honneur à l’inventeur de l’attraction passionnelle ? La série avait été découverte et analysée par d’autres avant Fourier, comme l’a judicieusement démontré P. Leroux. (Note de l’éditeur.)