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rapport du fini à l’infini, embrassent la sphère entière de l’intelligence, qu’est-ce que cela ferait pour la méthode en elle-même ? quelle garantie en recevraient nos jugements ? quelle certitude en résulterait pour la dialectique et la réalité objective des idées ?

209. Toutes ces catégories sont une imitation des catégories grammaticales, vulgairement appelées parties du discours. Au lieu de la série ordinaire, Nom, Article, Adjectif, Pronom, Verbe, etc., les philosophes ont adopté le tableau des adverbes, divisés de temps immémorial, par les grammairiens, en adverbes de lieu, adverbes de temps, de quantité, qualité, affirmation, mode, etc. Or, quelle peut être l’utilité de cette classification en logique ? — On demande lequel est le moins mauvais, du gouvernement monarchique ou du républicain ? À quoi sert, pour la démonstration de cette thèse, de savoir qu’elle contiendra des noms, des verbes, des adverbes, des participes, des conjonctions, ou bien que les propositions en seront singulières, plurielles, générales, hypothétiques, assertoriques ou réciproques ?

Les catégories, à supposer toujours que le dénombrement et la détermination en soient rigoureux, sont à la métaphysique ce que les corps simples sont à la chimie : elles servent à exprimer ce qui est de soi inintelligible, la substance, la cause, la passion, etc. L’entendement ne fait rien sans elles ; or, la question n’est pas de savoir sur quoi l’entendement opère, mais comment il doit opérer[1].

210. Toutefois le travail de Kant ne demeura pas sans fruit. Comme le chimiste qui, après avoir reconnu les éléments simples qui entrent dans la constitution des corps, s’efforce de découvrir les lois de leur composition : ainsi l’on vit un métaphysicien, s’emparant des concepts généraux de l’intelligence, fonder une dialectique nouvelle sur la loi de composition de ces concepts.

Kant, ayant divisé les concepts en quatre familles, composées chacune de trois catégories, avait montré que ces catégories s’engendraient, pour ainsi dire, l’une l’autre, la seconde étant constamment l’antithèse ou l’opposé de la première, et la troisième procédant des deux autres par une sorte de composition.

  1. Cependant il faut dire, pour être juste, que le but de Kant, en faisant l’inventaire des catégories, a été de montrer que la loi fondamentale du raisonnement consiste, par-dessus toute chose, à ne point conclure d’une catégorie à une autre, ce qui est, comme ou le verra plus bas, le principe même de la dialectique sérielle. Il y a peu de dialecticiens comparables à Kant : malheureusement il n’a point réduit en principes, comme l’a fait Hégel, sa dialectique.