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science. Et les témoins, les hérauts de ce fait, tous de la classe ouvrière, sont dénoncés à l’animadversion bourgeoise comme des perturbateurs, des factieux, des instruments de police ! Dérision !

Le principe que nous venons de poser, — et ceci ajoute à la solennité de l’événement, — de la nécessité pour une collectivité humaine, caste, corporation ou race, d’avoir conscience, soit pour se constituer en État, soit pour participer au gouvernement de la société dont elle fait partie et s’élever à la vie politique, peut être considéré comme une loi générale : il a son application dans l’histoire de tous les peuples. Pendant un temps la plèbe latine n’eut pas conscience, elle formait la clientèle des patriciens, et était gouvernée par ceux-ci selon les règles du droit familial. Quand les plébéiens réclamèrent la participation au mariage, aux sacrifices et aux honneurs, quand ils eurent leurs tribuns, dont le veto pouvait arrêter les résolutions du Sénat ; quand ils obtinrent communication des formules ; quand, enfin, par le partage des territoires conquis et de l’ager publicus, il fallut leur accorder la propriété, c’est qu’ils étaient arrivés à la pleine conscience d’eux-mêmes, et que, par cette manifestation de la conscience, ils se jugeaient les égaux du patriciat. Le malheur fut, ainsi que je l’ai fait observer précédemment (Ire partie, chap. ii, no 1), qu’ils ne surent pas s’élever de la conscience d’eux-mêmes à la connaissance d’une nouvelle loi. Ceci fut l’œuvre du Christianisme.

Un phénomène analogue vient de se passer en Russie. On serait dans une grave erreur si l’on s’imaginait que l’oukase de l’empereur Alexandre qui a conféré à la fois la liberté, la propriété et l’exercice des droits civiques à vingt-trois