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YVETTE PROST

Un joyeux rayon de soleil glissait sur les belles porcelaines de Chine qui décoraient les murs. Jupiter le coq mordoré, s’avança sur le seuil et tourna curieusement vers le maître son œil latéral. Nérée jeta quelques miettes au volatile qui en piqua une de son bec, mais la laissa retomber et poussa un gloussement d’appel. Trois poules accoururent et se jetèrent sur les miettes, tandis que le mâle, maigre et stoïque, les regardait manger. L’homme, attentif, contemplait ce petit tableau. D’un geste, il le désigna à sa femme :

— Sublimation de l’instinct, dit-il, même chez cet oiseau au cerveau rudimentaire… Il y a dans l’attitude de ce coq de quoi démolir bien des systèmes de philosophie.

En méditant sur ce mystère, il s’était mis à déjeuner. Il avait faim ; il aimait un café au lait bien préparé ; il aimait cette heure encore fraîche et acide de la matinée, ce premier tête-à-tête avec la femme chérie ; il aimait la vie. En dépit de certain choc au cœur qui le faisait encore tressaillir dix fois par jour, Nérée Galliane aimait la vie et y mordait de toutes ses dents solides, comme dans un des fruits juteux des cent quarante pêchers de sa vigne.

Fine disposait sur un plateau une autre tasse, une autre cafetière :

— Est-ce qu’il faut mettre quand même du beurre pour Madamo ? demanda-t-elle. Elle dit que le miel lui suffit.

— Non, le miel ne suffit pas, répondit Blanche ; mettez une coquille du beurre le plus frais. Je vais monter le déjeuner de Madame.

— Laisse-moi cela, chérie, dit Nérée ; je n’ai pas encore vu maman.