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YVETTE PROST

— Oui, fit Nérée. Et, levant sur sa femme ses yeux profonds et limpides :

— C’est pour elle que j’essayais de dire ces choses raisonnables. Elle n’a pas l’air d’une femme heureuse. C’est un cœur frémissant qui cherche son équilibre.

Blanche, qui s’était levée pour emporter le plateau à thé, vint prendre entre ses mains la tête de son mari et posa tendrement ses lèvres sur ces yeux de bonté, ces deux « sources fraîches », comme disait Fine en parlant de ceux du père.

Une autre fois, Diane Horsel fut près de perdre tout empire sur son âme violente.

On prenait le café au jardin, sous le grand poivrier. Ramillien partait pour la gare, conduisant un camion surchargé. Le patron demanda :

— Est-ce le dernier, Ramillien ?

— Non, monsieur, il y en aura encore un.

Ce jour-là, les envois d’artichauts et de laitues avaient été considérables.

— Votre domaine doit vous rapporter de l’or en barres, remarqua Mme Horsel.

— De minces barres, répondit Nérée, et qui vont s’amenuisant d’une année à l’autre. La main-d’œuvre coûte cher, les engrais sont hors de prix et les feuilles d’impôts écrasantes…

Mme Galliane ajouta :

— Et puis nous n’avons jamais été acharnés au gain.

— Non, approuva le jeune homme. Je ne puis concevoir que tant de mes contemporains soient tellement obsédés par le souci de « gagner leur vie » qu’ils en oublient de vivre.