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YVETTE PROST

Avant que la jeune femme eût franchi un kilomètre, le soleil lui brûlait les épaules et l’invitait à se reposer. Un tronc de palmier mort rejeté par le flux lui offrait un siège ; elle vint s’y asseoir et promena son regard sur cet horizon reposant.

La langue plate de Giens était toute proche ; on en distinguait les maisons. Les Îles d’Or demeuraient voilées d’une gaze bleue et Hyères somnolait encore sous ses palmiers et ses fleurs. Mme Horsel se tourna vers la partie du rivage où brilla la florissante Pomponiana. Elle apercevait les vestiges du vieux môle écroulé dans la mer. Elle imagina un instant la ville romaine avec ses thermes, ses temples, ses palais, ses villas… Tout cela était enseveli à jamais sous un manteau de verdure. — L’herbe a toujours le dernier mot.

Diane, dont la mémoire avait enregistré déjà bien des aspects de la terre, considérait le profil des belles collines sous leur riche fourrure de pins d’Alep, de chênes-lièges et d’eucalyptus, et la trouée bleue de la grande enjôleuse à l’appel ensorcelant.

Elle songeait : « Ce cercle harmonieux d’azur et de forêts est fait pour charmer les êtres au cœur tranquille — comme ces Galliane. À moi, il faut un horizon plus heurté, une mer violente et la menace des tempêtes et des naufrages ».

Mme Horsel n’était pas une femme heureuse ; elle n’avait jamais connu ni la joie ni la paix. Aussi loin que remontât son souvenir, son lot avait été privations, vains désirs, ambitions déçues. Elle se répétait souvent avec une ironie rageuse qu’au « banquet de la vie », elle n’avait obtenu que les rogatons et les os.