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YVETTE PROST

— Tout ! Nérée, ce moment est d’une douceur si parfaite qu’il faut nous en pénétrer, nous en faire un étincelant souvenir pour plus tard… quand nous serons vieux.

— Je ne parviens pas à croire que, l’un pour l’autre, nous puissions jamais être vieux.

— Tu as raison. Eh bien ! faisons-nous un souvenir immortel pour… quand nous serons morts.

— Ma petite douce ! il n’y aura peut-être pas de mort.

Un souffle plus frais, le murmure plus grave de la mer les ramenaient vers la maison. À pas étouffés, par souci du sommeil de la vieille maman, ils regagnaient leur chambre pleine du bleu lunaire, embaumée en toute saison par l’haleine des jardins. Tempe contre tempe, ils restaient longtemps penchés sur le lit rose où dormait petit Paul ; puis ils s’attardaient encore sur la large terrasse à regarder les feux de Giens, l’éclair mélancolique du phare de Porquerolles et, souvent, les évolutions éblouissantes des hydravions sur le golfe. Même dans leur sommeil heureux, ils demeuraient en contact avec les arbres doucement agités, avec les fleurs, avec la brise, avec la grande rumeur berceuse de la Méditerranée.

Autant l’un que l’autre, ils étaient doués pour goûter pleinement la douceur de la vie, pour savourer, sans en laisser perdre une goutte, l’enivrant élixir du bonheur. Blanche disait :

— Ne crois-tu pas, Nérée chéri, que pour aimer ainsi le bonheur, il faut d’abord avoir souffert ?

— Peut-être… répondait le jeune homme. Peut-être l’attraction irrésistible qui nous jeta l’un vers l’autre fut-