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YVETTE PROST

d’une véritable vénération. Blanche avait vu un jour sa belle-mère morigéner sévèrement Carini, qui s’était montré brutal à l’égard de sa femme. L’athlète de bronze, le « centurion », au garde-à-vous devant la patronne qui lui venait au coude, avait l’air penaud d’un petit garçon qu’on menace de la fessée.

Tout en se livrant à ses occupations paisibles, Blanche ne cessait de suivre en pensée son mari. On eût dit qu’un fil magnétique les liait l’un à l’autre sans se rompre jamais. Elle savait sur quel point du domaine Nérée surveillait les travaux ; elle savait qu’il venait de traverser le chemin de St-Pierre-d’Almanarre pour aller dans la grande vigne et l’oliveraie ajoutées depuis quelques années à l’ancien patrimoine ; elle entendait le jeune homme siffler dans le magasin d’emballage ; elle courait à une fenêtre pour voir passer dans le soleil la silhouette mince à la souple allure.

Souvent, lorsque s’en allaient vers la gare d’Hyères les camions chargés de cageots de primeurs, le patron était lui-même au volant. Toute la matinée, Galliane travaillait comme un de ses hommes, vêtu à peu près comme eux de velours fauve en hiver, de toile bise en été. Dans l’après-midi, il expédiait son travail de bureau puis retournait aux cultures. Mais, à partir de cinq heures, on ne devait plus songer au travail : Nérée, baigné, rasé, habillé, n’appartenait plus qu’à sa femme et à son petit enfant. C’était le moment des belles promenades, de la musique ou de la lecture Tous deux étaient de grands liseurs. Blanche avait fait connaître à son mari des chefs-d’œuvre qu’il ignorait ; et Nérée avait ouvert à Blanche sa bibliothèque de garçon composée surtout de livres de nature, passionnantes études sur la vie végétale, les arbres, les