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YVETTE PROST

dente jeunesse, puis, souriant en sa maturité ; le fils, petit enfant, lycéen, officier d’aviation, puis côte à côte avec sa jeune femme et enfin tenant son enfant sur ses genoux. Il y a aussi un grand dessin au pastel du domaine de Pomponiana, presque aussi cher au vieux cœur que les figures aimées. Sur le guéridon ovale, les quelques livres que la vieille dame aura le plus souvent feuilletés : les Évangiles, un manuel d’horticulture et Miréïo, de Mistral, dans la belle langue aux syllabes d’or. Enfin, il y a le grand lit en palissandre où elle dormit quarante-cinq ans auprès de l’homme uniquement aimé ; le grand lit sur lequel son petit corps presque immatériel pèse si peu aujourd’hui.

Elle contemple pieusement ces vieux objets, compagnons de toutes ses heures, et voilà que ses yeux se troublent ; les larmes coulent et mouillent l’oreiller. Chagrin ? Regret ? Non : ce sont des larmes d’amour pour les êtres et les choses ; ce sont des larmes de reconnaissance envers le destin. Elle sent que la vie l’a comblée ; et, comme elle a coutume de le faire aux heures d’insomnie, elle se met à prier à mi-voix :

— Qu’ai-je donc fait, mon Dieu, pour que vous m’accordiez une si douce vieillesse ? Dans votre royaume où vous allez bientôt m’appeler, pourrez-vous m’offrir plus d’amour, de paix heureuse et de beauté ? Votre divin paradis sera-t-il plus beau, mon Dieu, que ces jardins, ces forêts odorantes, cette mer ?… Seigneur, je répondrai avec soumission à votre appel ; je sais que j’ai fait mon temps sur la terre… mais laissez-moi encore un peu dans ce monde que j’aime tant ; accordez-moi de vivre assez pour voir ma petite-fille me sourire et qu’elle se souvienne de moi…