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LE COUPLE AU JARDIN

Consolation. La figure de proue est un ange gardien ; sur la carène polie et veinée de brun, une date est gravée : 1835. Que fut le petit enfant dont le premier sommeil a été balancé, en 1835, dans cette nef légère ? La fille de Nérée et de Blanche, sur qui se penchent tant de tendresses et d’espoirs, commence sereinement la grande traversé sur son petit navire vieux de plus de cent ans.

Toute la journée, la joie a bourdonné sur cette terre heureuse. À l’ombre des arbres, que les ouvriers illuminèrent le soir, une table digne des noces de Cana avait été dressée pour le personnel du domaine et les braves gens de l’Almanarre cordialement invités. Maintenant, le divin silence nocturne a remplacé les chansons et les rires ; et les marmots poursuivent dans leur sommeil des rêves de dragées et de brioches. Un dernier lampion, orange lumineuse, brûle au-dessus de la porte de Carini.

Mme Galliane, pour obéir à ses enfants, s’est couchée avant qu’il soit tard ; mais elle ne dort pas, ne désire point le sommeil ; elle veut s’enchanter encore, toute seule, du bonheur de cette journée et de toutes les espérances qu’elle fait éclore.

À la lueur atténuée d’une veilleuse, elle promène son regard et sa pensée sur tous les détails de la chambre… La grande armoire provençale sent une bonne odeur de cire et de lavande. Elle recèle des piles de beau linge, des richesses et souvenirs de toutes sortes, les bijoux et colifichets dont se parait la dame lorsqu’elle était jeune et jolie. Dès qu’on tourne la clé dans la serrure ouvragée, une bouffée du passé heureux vous monte au visage et vous mouille les paupières… Aux murs sont les images chéries : le mari en son ar-