Page:Prost - Le couple au jardin, 1947.pdf/164

Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
LE COUPLE AU JARDIN

Nérée avait écouté sans trop d’étonnement ce réquisitoire.

— Monsieur, dit-il, la jeunesse est parfois une terrible épreuve. Il faut la laisser jeter sa trouble écume ; après quoi viennent les belles heures de lucidité et d’équilibre.

— Vous parlez d’or ! On voit bien que cette trouble écume ne vous a jamais éclaboussé.

— Quoi qu’il en soit, monsieur, faites encore crédit à votre fils. Car, enfin, vous voudrez bien reconnaître que toutes les grandes et belles choses du monde n’ont pas été faites par des saints. Si l’on avait désespéré de tous les garçons indisciplinables, de toutes les têtes brûlées, que d’expéditions hardies, que de découvertes bienfaisantes, que de victoires de la civilisation n’auraient jamais été réalisées ! Croyez-vous que ce soit un amusement de jeune fou que d’aller s’enfermer dans une léproserie du Chili ?

— Ne faites pas de romantisme. La médecine est la médecine. Soigner la lèpre ou la rougeole, c’est faire son métier de médecin, voilà tout. La lèpre est moins contagieuse que la tuberculose, et pas plus horrible en somme. Mon fils n’est ni un héros ni un martyr… Bref, si ce garçon a vraiment quelque chose dans le ventre, qu’il le prouve. Quand il aura fait œuvre utile, je pourrai passer l’éponge sur ses désordres et ses fautes ; mais les rêves, les promesses et les espérances ne me suffisent plus.

Le ton était définitif. Il fallut du courage à Nérée pour risquer encore :

— Et… l’enfant ?

— L’enfant ? J’ai dit que je veux l’ignorer. Toute-