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YVETTE PROST

— Nérée ! implora-t-elle avec un accent déchirant, aie pitié de lui. Aie pitié de lui : il est si malheureux !

Nérée fixait sur elle un œil un peu hagard. Le cauchemar continuait… Jusqu’où s’enfoncerait-on ?

L’homme à la face exsangue s’était ressaisi :

— Il faut nous laisser seuls, Blanche, dit-il ; emmène l’enfant.

Galliane écoutait cette voix. L’étranger tutoyait Blanche… Le cauchemar continuait. Il lui semblait que les murs s’étaient mis à tourner ; il lui semblait que son corps avait acquis un poids formidable… Il se laissa tomber dans l’unique fauteuil, celui que venait de quitter sa femme.

L’homme, debout à trois pas, disait :

— Me voici donc entre vos mains. Je crois qu’obscurément, depuis notre première rencontre, je n’ai pas cessé de souhaiter ce qui arrive.

Nérée, à grand effort, comme un plongeur remonte du fond d’une eau trouble, parvenait à reprendre pied dans la réalité. Lorsqu’il se sentit enfin capable de parler, il demanda :

— D’abord, qui êtes-vous ?

Dans les yeux bruns, très beaux, le regard vacilla. Et l’inconnu répondit d’une voix éteinte :

— Je n’aurais pas voulu commencer par là. Le nom qu’il me faut prononcer va vous faire horreur… Je suis Pierre Vincent.

Le cauchemar prenait une allure vertigineuse. Nérée se débattait de nouveau dans une eau lourde et noire. Sans un geste, il répéta :

— Pierre Vincent… L’assassin de mon père.