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YVETTE PROST

Heure exquise, que chacun interprétait selon ses dispositions intimes. — La nature n’est qu’un grand miroir qui nous renvoie, élargi, ce que nous lui donnons. Mme Galliane accueillait les moindres détails de ce luxuriant printemps comme une faveur insigne à elle accordée par la Providence. Elle avait accoutumé de dire qu’après soixante-dix ans, nous devons adorer la vie comme l’adore un condamné qui vient d’obtenir sa grâce. Elle laissait errer ses yeux ravis sur les riches cultures qui se déployaient presque jusqu’à la mer et songeait :

« La vigne sera fleurie dans huit jours. Je respirerai une fois encore ce parfum sans pareil que mon cher mari aimait tant. Je verrai encore d’abondantes vendanges et, sans doute, aussi la cueillette des olives… Dieu est bon de m’accorder un été de plus sur cette terre que j’aime de toutes mes forces — ou de toute ma faiblesse ! »

Nérée se demandait : « Pourquoi ce soir limpide est-il d’une tristesse inexprimable ?… Jamais la beauté des choses ne m’avait blessé ainsi depuis les mélancolies vertigineuses de l’adolescence… À seize ans, on doit confusément prévoir qu’on attend trop de la vie qui vous mentira. Et, à trente ans… »

Mais voilà que, dans le crépuscule bleuissant, une forme claire s’avançait entre les stipes des palmiers. Nérée fut aussitôt debout et courut à la rencontre de sa femme.

— Si tard, Blanche ? Qu’y a-t-il eu, ce soir ?… Ou plutôt qu’y a-t-il depuis quelque temps ? Finirai-je par le savoir ?

Il l’avait prise dans ses bras. Elle s’accrocha étroitement à lui, mais en lui dérobant son regard :