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LE COUPLE AU JARDIN

ce qui s’est passé ; mais Carini a compris que la dame se moquait de lui. Alors, monsieur, il n’a fait ni une ni deux, il est venu froidement m’emprunter mon fusil. Pas de doute, il aurait tiré comme un diable. J’ai voulu empêcher ça. Je lui ai d’abord remontré ce que lui coûterait son coup de folie : le scandale, la prison, le chagrin de sa femme, la perspective d’être chassé du domaine… Que ne lui ai-je pas dit ? Mais il s’entêtait comme une brute. Alors, j’ai trouvé autre chose : un coup de fusil ? S’il tuait la dame, il était bon pour les travaux forcés ; s’il la manquait, ce serait pour elle un succès fou. Devant la cour d’assises où on le jugerait, elle apparaîtrait comme une héroïne : les jeunes avocats, les jurés, les journalistes seraient tous entichés d’elle ; tous les journaux publieraient sa jolie figure. Jamais elle n’aurait été aussi heureuse !

« Le vrai moyen de la punir, c’était l’humilier, la rendre ridicule… Et j’ai proposé l’idée du jet d’arrosage. Ce n’était sans doute pas bien malin ; mais remarquez, monsieur, que j’ai peut-être sauvé la vie de la dame et l’avenir de Carini.

— En effet… Mais, dites-moi, qui donc a manié le tuyau d’arrosage ?

— Carini, bien sûr. Je ne pouvais tout de même pas lui ôter cette satisfaction.

— Pourquoi avez-vous endossé toute la responsabilité de l’affaire ?

— Mais, monsieur, c’était juste, puisque c’est moi qui avais monté le coup. Et puis, je prévoyais qu’il y aurait des excuses à faire, des giries, des salamalecs ; moi, je m’en moquais pas mal, et vous savez qu’on n’aurait jamais pu tirer ça de Carini.

— Bien. J’ai compris.