Page:Prost - Le couple au jardin, 1947.pdf/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
YVETTE PROST

de bien des gens que je connais depuis vingt ans. Acceptez sans façon cette petite somme dont je n’avais pas prévu l’usage.

— Mais, cher monsieur, il y aurait neuf chances sur dix pour que je ne puisse jamais vous rendre votre argent : mon avenir est si aléatoire !

— Il n’est pas question que vous me rendiez rien.

— Ah ?… Eh bien ! non, merci. Je ne suis pas encore assez illustre pour accepter de tels cadeaux.

— Entendez-moi : il ne s’agit ni de prêt ni de cadeau, mais d’un simple dépôt. Utilisez cet argent pour vous libérer des tracas matériels et vous consacrer à votre beau projet. Plus tard, lorsque vous aurez réussi, que vous serez peut-être un médecin éminent, disposez de cette même somme pour aider un garçon digne d’intérêt, qui aura besoin d’un coup d’épaule ; et faites-lui les mêmes conditions. Alors, voyez-vous ? Ce modeste chèque se transforme ainsi en un capital moral qui peut circuler indéfiniment en produisant peut-être un bien incalculable.

— Dites-moi : vous êtes poète ?

— Je ne crois pas. Je suis… un homme moyen.

— Eh bien ! cet homme moyen est un phénomène dont j’aurais nié, hier, l’existence.

Nérée était entré avec précaution dans la chambre ; mais sa femme donna aussitôt la lumière.

— Tu ne dors pas, chérie ?

— Comment pourrais-je dormir ? J’étais si inquiète ! Il est plus de minuit.

— Pourquoi t’inquiéter follement ? Je t’avais dit que le jeune homme n’était pas sérieusement touché. Mais je devais au moins lui donner quelques soins…