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LE COUPLE AU JARDIN

Il s’était levé et, le plateau sur le bras, montait l’escalier, frappait à la première porte.

— Bonjour, petite mère. Une bonne nuit ?

Sur la blancheur de l’oreiller, souriait le plus aimable visage de septuagénaire. La vieille dame, sous ses cheveux blancs, avait des yeux de jeune fille, des yeux couleur de myosotis, à la fois ingénus et malicieux, et qui semblaient tout neufs, émerveillés, chaque matin, de voir, depuis tant et tant de jours, se renouveler le prodige de l’aurore.

— Bonjour, mon petit. Oui, j’ai dormi admirablement, et ma fille charmante est déjà venue me visiter. Sais-tu que ta femme est de plus en plus jolie ?

— Si je le sais !…

La vieille maman sourit au plateau que son fils posait devant elle. Elle aussi aimait la vie, malgré le deuil affreux qui avait désolé la maison trois ans plus tôt. Pendant les premières semaines qui avaient suivi l’événement noir, elle avait voulu mourir de désespoir. Mais elle était ardemment croyante : le cher vieux mari qui l’avait devancée dans la vie éternelle, elle avait l’apaisante certitude de le rejoindre un jour ; en attendant, il fallait sourire au bonheur de son fils, être heureuse avec lui, pour lui.

En lui accordant cet enfant, la Providence ne lui avait-elle pas marqué une bienveillance exceptionnelle ? Alors qu’elle désespérait d’être jamais mère, une grâce du ciel avait permis qu’elle eût, à quarante ans passés, ce fils sans défauts.

Son Nérée ! plus beau et meilleur que tous les jeunes hommes de ce temps !… Elle avait pu, pendant vingt ans, le choyer, l’admirer, l’adorer sans le rendre