Page:Prod’homme - Richard Wagner et la France, 1921.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
richard wagner et la france

mode… Rien ne nous montre mieux que les Français sont

le peuple souverain de la civilisation actuelle, que le fait que notre fantaisie sombre aussitôt dans le ridicule, quand nous nous imaginons que nous n’avons qu’à vouloir pour pouvoir nous émanciper de leur mode. Nous reconnaissons immédiatement qu’une « mode allemande », mise en opposition à la mode française, serait quelque chose de tout à fait absurde[1].

On peut dire que le Français est le produit d’un art particulier de s’exprimer, de se mouvoir, de s’habiller. Sa loi en cela est le goût — mot qui, désignant une des fonctions les plus inférieures des sens, fut appliqué à une tournure d’esprit ; et c’est avec ce goût qu’il se goûte lui-même, comme une sauce de haut goût, tel qu’il s’est préparé. Il est incontestable que, sur ce terrain, il est parvenu à la virtuosité[2].

L’Allemand n’est pas révolutionnaire, mais réformateur : aussi se garde-t-il pour la manifestation de son être intrinsèque une richesse de formes telle que n’en possède aucune autre nation. Cette source profonde paraît être tarie chez le Français : c’est pourquoi, tourmenté par les formes extérieures, en politique comme en art, il se croit obligé de les détruire de fond en comble, avec l’illusion, pour ainsi dire, que des formes plus commodes se créeront ensuite d’elles-mêmes[3].

Que le peuple allemand soit maintenant vaillant même dans la paix ; qu’il cultive sa véritable valeur et se débarrasse des fausses apparences ; puisse-t-il ne jamais vouloir passer pour ce qu’il n’est pas et, au contraire, reconnaître en soi-même en quoi il est unique !… Rien de plus noble ne peut être mis en parallèle avec ses victoires, en cette merveilleuse année 1870, que la commémoration de notre grand Beethoven qui, il y a cent ans, naquit au peuple allemand[4].

  1. IX, p. 115.
  2. IX, p. 117.
  3. IX, p. 85.
  4. IX, p. 125.