Page:Prod’homme - Richard Wagner et la France, 1921.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
la question wagner depuis la guerre

hégémonie menaçante. Pour cela, l’art devait, tout d’abord, s’émanciper de la tutelle française. Et tel est, en quelque sorte, le leit-motiv de tous les écrits wagnériens, puisque, pour le maître de Bayreuth, « l’œuvre et la mission de sa vie », selon sa propre expression, étaient la création d’un art allemand, foncièrement allemand.


Au siècle dernier, écrit-il, nous voyons en rougissant que des princes allemands furent captivés et éloignés du peuple allemand par des danseuses françaises et des chanteurs italiens, à peu près comme, de nos jours, des princes nègres sont séduits par des verroteries et des mirlitons…. La civilisation française est née sans le peuple, l’art allemand sans les princes : la première ne peut pas atteindre à la profondeur parce qu’elle ne recouvre que le peuple, sans lui entrer au cœur ; le second, au contraire, manque de puissance et de perfection aristocratique, parce qu’il n’a pas encore pu ouvrir les cœurs des souverains à l’esprit allemand.

Le grand Napoléon, lit-on plus loin, « dépaysa » l’esprit allemand. On enleva le théâtre aux héritiers de Gœthe et de Schiller. Ici, le ballet, là, l’opéra : Rossini, Spontini, les Dioscures de Vienne et de Berlin, qui attiraient après eux la pléiade de la restauration allemande[1].


Mais les princes, auxquels le fondateur de Bayreuth, l’ami du roi de Bavière fait appel, les princes allemands, « délivrés du despote français… replacèrent sur le trône la civilisation française, pour se laisser, après comme devant, gouverner exclusivement par elle. Il s’était agi simplement de rendre son pouvoir au petit-fils de Louis XIV ; et en réalité,

  1. VIII, p. 104, 108.