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la question wagner depuis la guerre

sent mensonge à mensonge, ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas, usent de leur détestable logique et s’enorgueillissent de ne rien savoir de toutes les choses du monde, que ce qu’ils veulent.

Il n’y a pas autre chose. Il ne manque pas seulement à ces spirituels Français la capacité, mais bien la volonté de franchir, ne fût-ce que par curiosité, les bornes de leur idée arrêtée sur le bien et le beau. Je ne dis là rien de nouveau, certes, car il n’y a rien de nouveau à dire sur eux, puisque, malgré leur mode changeante chaque année, ils ne peuvent être nouveaux. Il me faut néanmoins prendre en considération ce qui a été dit souvent, parce que, depuis un certain temps, l’idée s’est formée chez nous qu’il existait un rapprochement entre les Français et les Allemands, surtout au point de vue du goût artistique. Cette assertion s’est propagée parmi nous, sans doute, parce que nous avons vu les Français traduire Gœthe et jouer magistralement les symphonies de Beethoven. Ces deux faits se sont produits et se produisent encore, il est vrai ; je vous ai montré aujourd’hui comment ils ont donné le Freischütz. Cela a fait autant pour le rapprochement des deux nations que Gœthe et Beethoven, mais pas plus, et cela est moins que rien, car le Freischütz vient de contribuer certainement à éloigner les Français des Allemands.

Nous ne devons nous faire aucune illusion là-dessus : sur beaucoup de points, les Français seront toujours des étrangers pour nous, même s’ils portent les mêmes fracs et les mêmes cravates que nous[1].


Ainsi écrivait Wagner, rendant compte à ses compatriotes, des représentations du Freischütz, récemment mis en scène par Berlioz, à l’Opéra (1841).


À Paris, « où l’on semble avoir voué un véritable culte à Beethoven » [2], le jeune Wagner ne trouvait

  1. Œuvres en prose, t. I, p. 292, 294, 295.
  2. Un Musicien allemand à Paris (ibid., t. I, p. 103).