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richard wagner et la france

Passons aux compositeurs.

Peut-on prétendre de bonne foi que l’École française ait trahi en quelque sorte sa tradition sous l’influence de Wagner ?

Il faut posséder la forte dose de naïveté ou l’innocence musicale de certains littérateurs pour émettre sans rire une telle assertion. Pour un musicien, une partition existe dès qu’elle a été gravée, dès qu’elle peut être lue ; point n’est besoin pour lui de l’entendre. La représentation est-elle indispensable à un littérateur, à un amateur averti, pour apprécier une œuvre dramatique ?

Or, Tannhäuser, par exemple, est à peine plus jeune de dix ans que les Huguenots ou la Juive. Les musiciens en pouvaient lire la partition dès 1845, tandis que le grand public français l’ignora jusqu’à la fin du siècle. Faust est contemporain du révolutionnaire Tristan, et Gounod, qui fut un des rares musiciens français du XIXe siècle, connut Bach, Schumann et Wagner, par exemple, à une époque où nos dilettantes ignoraient aussi profondément les uns que les autres, et il sut en faire son profit. L’auteur de Faust (1859) avait lu le Wagner de Lohengrin, alors que le public n’apprit à en épeler le nom que l’année suivante. Après Tannhäuser, Gounod fut accusé de wagnérisme ; Bizet de même, et Massenet aussi. Et pourtant, le public, sauf une minorité infime, continuait à ignorer l’œuvre entier du maître allemand…

Il serait donc puéril d’attribuer une influence