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la question wagner depuis la guerre

Mozart et de Gluck qui en avaient été ignominieusement exilées.

L’œuvre de Wagner passera, — comme toute chose humaine, — et il n’en restera plus que des fragments, déchiffrés péniblement par les générations futures, que son époque demeurera comme une des plus marquantes dans l’histoire du drame en musique, à la suite du dramma per musica des Florentins, de l’opéra de Lulli et de Rameau, et des tragédies lyriques de Gluck.

Qu’on le veuille ou non, il marque une date dans l’histoire de l’art, et, bien qu’il soit allemand, — pas toujours aussi profondément qu’on ne cesse de le répéter chez nous, — son art correspond à la sensibilité de son temps, ou de son public d’élection, de ses « amis », selon son expression si souvent répétée. Les amateurs ne devaient pas plus l’ignorer que Gœthe ou Victor Hugo. Le seul regret qu’on puisse exprimer au point de vue français, ce n’est pas que son œuvre tienne une place considérable au répertoire, et dans les comptes de la Société des Auteurs, mais qu’il ait été révélé un quart de siècle trop tard à nos compatriotes, alors que les Anglais ou les Belges par exemple, le connaissaient et l’appréciaient entièrement déjà. En pareil cas, comme en beaucoup d’autres, le temps perdu ne se rattrape jamais. Les torts de Wagner sont donc tout simplement imputables à ceux qui, pour des raisons inavouées et sous couleur de patriotisme, ont retardé l’heure de sa révélation qu’ils ont, bien malgré eux, tournée en triomphe. Résultat ordinaire de toutes les persécutions.