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richard wagner et la france

Voilà, en deux mots, l’aspect matériel, le côté « intérêts » de la question.

Quant au préjudice moral, artistique, supposé subi par l’École française, il nous intéresse infiniment plus ; or, peut-on sérieusement l’invoquer ? Est-on fondé à proclamer, avec M. Masson, que le wagnérisme ait « souillé notre esprit, notre intelligence et notre cœur » ; ou qu’il nous ait fait abandonner notre tradition musicale française, disparue depuis un siècle et demi, au dire de Debussy, c’est-à-dire, depuis la mort de Rameau ?

Wagner, par son influence, n’a fait disparaître de nos scènes lyriques, Opéra et Opéra-Comique, que ce qui en était caduc, en les débarrassant, celle-ci, des « musiciens de mauvais goût, de mauvais style et de mauvaise musique, dont les auteurs se nomment Auber, Hérold, Halévy, Adam… Adam, ce malfaiteur musical qui, non content de nous encombrer de ses vulgarités, acceptait de détériorer pour de l’argent les belles œuvres de Rameau, de Grétry et de Monsigny » ; et celle-là, de Meyerbeer, « le seul compositeur prussien authentique, ce riche banquier qui venait faire ses coups de bourse à l’Opéra de Paris, pour aller ensuite célébrer à Berlin, par des marches solennelles de sa composition, la gloire de son maître Guillaume Ier l’aïeul de l’actuel Kaiser[1] ».

De plus, en élevant la mentalité musicale du public français, il a rendu à la fois à la musique dramatique sa dignité si longtemps bafouée, et contribué à faire sur ces mômes scènes lyriques, revivre avec plus de beauté que jamais, et plus de respect, les œuvres de

  1. Vincent d’Indy, Conférence faite le 16 avril, publiée par la Renaissance du 12 juin 1915.