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L’abbaye de Grandselve, située dans une forêt de la Guienne, sur la rive gauche de la Garonne, fut fondée en 1114 par Gérard de Salles. Elle suivait la règle de St-Benoît. En 1152, elle fut placée sous la protection spéciale du Saint-Siége, et ses abbés eurent le droit, de porter la crosse, la mitre, et l’anneau. Dans le cours du XIIme siècle, ses religieux étaient au nombre de huit cents. Sa décadence date du moment où elle perd le droit de nommer ses abbés : la discipline se relâche, et les tentatives de réforme viennent échouer contre une volonté d’autant plus indomptable, qu’elle se présente sous les dehors d’une inertie que rien ne peut ébranler.

Les abbés de Grandselve ont joué un rôle important dont l’histoire du midi de la France a gardé de nombreux et profonds souvenirs. Ils prirent part à la croisade contre les Albigeois. Ils luttèrent avec énergie, et longtemps avec avantage, contre les empiètements du pouvoir séculier. Mais l’abbaye tomba en commende, sous Louis XI, en 1476. Dès lors, son autorité politique disparaît, les religieux diminuent ; et si sa juridiction spirituelle se maintient, si sa fortune territoriale n’est pas atteinte, l’abbaye n’en est pas moins réduite à un état d’infériorité qui ne tient pas seulement aux changements politiques survenus dans le royaume, mais encore, et surtout, aux modifications intérieures.

Les domaines de l’abbaye étaient considérables, ses charges nombreuses et importantes. Il en est une qui est spécifiée en tête de toutes les autres, et comme première obligation : c’est l’aumône journalière de 40 sacs de blé faite, omni petenti, à la porte du monastère.

Les bâtiments et l’église répondaient par leur étendue et leur magnificence aux richesses territoriales. Il n’en reste rien aujourd’hui et l’on est réduit à répéter avec douleur en présence de ce spectacle, l’énergique parole de Lucain : etiam perière ruinœ.