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Mais ils n’étaient plus dans la vérité, dès le moment où ils mettaient sur le compte de l’état social, ce qui ne pouvait être attribué qu’au génie qui n’a pas d’ancêtres, et qui n’a pas de descendants.

Il ne faut pas méconnaître un trait essentiel qui se présente naturellement dans cette étude comparative. La littérature, reproduit deux choses : ou l’état réel d’un peuple, ou ses aspirations. Cette double source est tantôt distincte, tantôt confondue. Dans le premier cas, la littérature tire sa beauté de la vérité dans la représentation des objets, ou de l’harmonie qui rattache leurs diverses parties ; dans le second, de la pureté et de l’élévation auxquelles elle fait arriver les âmes. Au milieu de la société corrompue du paganisme, on comprend que le génie ait voulu vivre d’une vie à part, qu’il se soit soustrait à ces abaissements de l’esprit et du cœur, dans lesquels se perd toute dignité, et se consume toute force. La vérité prise dans le milieu ou il vivait, devait effrayer ou affliger son âme. Il fallait qu’il en sortit pour se réfugier dans un idéal inaccessible à cette corruption dont il se sentait environné. C’est ce contraste qui a donné à certains poètes tant d’amour pour le beau, tant d’enthousiasme pour ce qu’ils voyaient au-dessus des faits, des mœurs, des institutions et des hommes.

Qu’on ne l’oublie pas : c’était un fait exceptionnel. Ce n’est pas parce qu’Homère vivait au sein du polythéisme, qu’il représentait des Dieux envahis par toutes les passions, donnant l’exemple de tous les vices, ne reculant devant aucun crime, qu’il a pu réunir tant de beautés qui n’ont rien perdu pour nous de leur fraîcheur et de leur vérité. C’est parce qu’il s’est soustrait à cette étreinte, qu’il a vécu dans une sphère supérieure, qu’il a dégagé ses créations de tous les préjugés qui devaient les abaisser, de toutes les corruptions qui devaient les dénaturer. Il est grand, parce qu’il n’appartient en rien à la civilisation au milieu de laquelle il a été jeté, et qu’il la domine de toute la hauteur de son génie.