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serments, ou par un de ces changements douloureux, qui viennent autant de l’inconstance des choses, que de celle de l’espèce humaine.

Tout, sans doute, n’est pas irréprochable dans Tibulle ; mais sa tendance à nous éloigner toujours des faits et du corps pour nous porter vers les sentiments, et nous faire sonder notre cœur avec le sien, donne à ces petites compositions que le sujet semblerait devoir rendre licencieuses, un caractère de retenue, de gravité décente qui étonne, lorsque surtout on compare ce ton avec les tendances de l’époque et les réalités historiques.

Comme écrivain, Tibulle est d’une grâce constante. Son vers est vigoureusement frappé, et la nature des sentiments qu’il exprime ou des tableaux qu’il trace, ne vient jamais affaiblir sa forme, ni lui donner cette molle indécision que l’on prend trop souvent pour la beauté du genre. La grâce dans le vers vient de la pensée ou du sentiment ; elle réside dans l’image, elle ressort de l’expression, elle jaillit de la tournure ; mais elle suppose toujours une base forte. La mollesse n’est pas gracieuse. Les rêveries de Tibulle sur les charmes de la campagne, dont il se montre amoureux autant peut-être, quoique d’une manière plus calme, que d’autres beautés moins constantes, ne se perdent jamais dans le vague. Sa mélancolie est quelquefois portée jusqu’à l’exaltation : elle ne s’arrête jamais à ce ton fade, langoureux, qui n’annonce jamais autre chose que l’insaisissable son d’une âme timide, rendu par le style avec la fidélité d’un écho, mais aussi avec un timbre plus sourd et un accent plus faible.

M. A. Crespon a beaucoup étudié Tibulle. Il a essayé de pénétrer le secret de ce style si mesuré et si plein, où chaque mot à sa portée, où chaque image est à sa place, où l’art est si parfait, qu’on le trouve partout