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autrui »[1], une littérature s’enrichit en s’appropriant, pour le fond ou pour la forme, tout ce que l’esprit humain a produit. La langue sort de cette lutte pleine de vivacité et de naturel, de force et d’élégance. Elle y gagne, en raison des résistances et des difficultés qu’elle a rencontrées. Le génie trouve des appuis ; le talent des modèles. Le goût s’épure, car il peut comparer ; et la comparaison est la voie qui mène à la perfection.

Les peuples, dès les premiers actes de leur vie, trouvent dans la traduction, le moyen d’arriver à une certaine perfection de forme qui est la preuve d’une admiration raisonnée pour les chefs-d’œuvre, et le premier fruit du sentiment de l’art. Dans leurs époques de grandeur, ils s’appuient sur les créations du génie pour arriver à une rivalité souvent dangereuse pour elles : à leurs périodes de faiblesse et de décadence, ils vont s’y retremper, pour y puiser ce qu’ils ne trouvent plus en eux-mêmes : quelque principe de vie et quelques espérances d’avenir.

Notre langue et notre génie doivent beaucoup aux traductions, parce qu’on les a comprises de bonne heure d’une manière sérieuse, et comme une lutte corps à corps avec un adversaire redoutable. Les poètes ont été l’objet d’une attention particulière. On les a traduits en prose ; plus souvent on a essayé de donner aux inspirations qu’on leur empruntait, cette forme qui est, par excellence, la langue poétique. Mais, a-t-on toujours réussi ? Si le vers contraint la pensée pour la faire jaillir avec plus de force, s’il resserre l’image, afin de la rendre plus éclatante, on comprend tout ce que l’inspiration y gagne, mais on doit sentir aussi tout ce que la traduction y perd.

Il y a entre ce qui se passe en nous et la forme que nous lui donnons, un rapport intime, une liaison étroite. C’est l’âme et le corps. Le corps manifeste, il reflète avec vérité jusqu’aux moin-

  1. De Ravignan.