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M. Gosselin-Lenôtre dit qu’il croit bien se rappeler que la tombe d’Adrienne Lecouvreur doit effectivement se trouver dans les parages de l’hôtel de M. de Jouvencel.

M. Charles Sellier ajoute que, jusqu’à présent, la sépulture d’Adrienne Lecouvreur a été, comme sa mort, entourée de mystère. Voici du reste, à cet égard, la version la plus accréditée. Le 20 mars 1730, quand il fallut trouver un lieu bien solitaire où cacher les restes de l’illustre comédienne, auxquels le curé de la paroisse Saint-Sulpice avait refusé une sépulture chrétienne, c’est bien dans ces parages, non loin du cimetière de cette paroisse, qu’on vint le chercher. On transporta nuitamment le corps dans un fiacre, et deux portefaix, que guidait un certain M. de Laubinière, lui creusèrent une tombe clandestine au milieu d’un terrain vague qui fut plus tard compris dans les dépendances de l’hôtel de Sommery, à l’angle sud-est des rues de Grenelle et de Bourgogne.

Plus d’un demi-siècle après, en 1786, le comte d’Argental, un ancien adorateur d’Adrienne, dont une extrême vieillesse, il avait quatre vingt-six ans, n’avait pas atténué les regrets, " apprit qu’un hôtel allait être construit sur le lieu de la sépulture de celle qu’il avait si follement aimée, et que ses restes étaient sous une remise qu’on lui désigna. Il obtint du propriétaire, le marquis de Sommery, la permission de lui ériger un tombeau et composa de plus une épitaphe en vers qu’il fit graver sur une plaque de marbre et sceller à un mur voisin.

L’hôtel fut acquis ensuite par le comte Raymond de Bérenger qui l’habita jusqu’en 1836. Au dire de Mme Sophie Gay, qui a écrit dans le Plutarque français une notice sur Adrienne Lecouvreur, ce propriétaire aurait exposé cette inscription dans sa galerie de curiosités. Depuis, l’hôtel appartint à son gendre, M. le comte de Vogüé, qui laissa la plaque à l’endroit choisi par son beau-père. En ce temps-là, la remise sous laquelle les restes d’Adrienne furent enfouis existait encore.

A présent, l’immeuble porte le n° 115 de la rue de Grenelle et appartient à M. le comte de Jouvencel ; lui seul, peut-être, sait ce que sont devenus les ossements de la célèbre artiste, car on n’a encore vu nulle part qu’ils aient été, comme ceux de Molière et de La Fontaine, exhumés et transportés ailleurs.

Voici les vers de d’Argental ; ils se ressentent un peu de l’âge avancé qu’avait l’auteur quand il les composa :

Ici l’on rend hommage à l’actrice admirable Par l’esprit, par le cœur également aimable. Un talent vrai, sublime en sa simplicité, L’appelait, par nos vceux, à l’immortalité ; Mais le sensible effort d’une amitié sincère Put à peine obtenir ce petit coin de terre, Et le jnste tribut du plus pur sentiment Honore enfin ce bien méconnu si longtemps.

La proposition de moulage de la plaque d’Adrienne Lecouvreur est adoptée.

La séance est levée à cinq heures.

905. — Imprimerie municipale, Hôtel do Ville. — 1899.